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Auzelles
Messages : 4794 Date de naissance : 16/10/1949 Date d'inscription : 25/10/2017 Localisation : Entre Crau et Camargue
| Sujet: Re: L'historiette du jour... Jeu 4 Jan - 7:25 | |
| L'historiette du jour : La concordance des temps de Georges LauteurLe verre de vin a taché son pull. On fait une belle famille d'étourdis, tiens ! J'ai rempli son verre avant qu'elle ne serve la soupe et elle n'a pas fait attention à ce verre quand elle s'est penchée vers la soupière. Des maladroits, je vous dis. Et c'est comme ça depuis des années. Heureusement, c'est facile à corriger. Je rembobine le temps de trente secondes, comme d'habitude et ensuite (ou avant ?) je ne remplis pas son verre. Voilà. Maintenant, le verre tombe, mais il est vide. Elle dit « Merde », s'excuse et me sourit. Je l'aime, ma sœur. - Lire la suite de l'historiette:
Trente secondes, ce n'est pas beaucoup, mais ça peut changer beaucoup de choses. Évidemment, il faut réagir vite. Avec les années, je me suis amélioré. Personne ne s'en est jamais rendu compte. Comment pourraient-ils ? Ils vivent dans le présent. À ma connaissance je suis le seul à pouvoir revenir dans le passé et à le modifier.
Je n'ai jamais compris pourquoi j'avais ce don. Mes parents ne m'en ont jamais parlé et je n'ai jamais rien lu sur le sujet. Ma sœur ne l'a pas, j'en suis certain.
Je me souviens parfaitement de la première fois où je m'en suis rendu compte, à sept ans. Ma mère me tirait par la main, je ne voulais pas aller chez le dentiste. Elle a posé le pied sur la chaussée, le bus est arrivé, elle m'a lâché, et le bus l'a tuée net. J'ai voulu rattraper sa main, mais elle était déjà partie. Alors j'ai souhaité de toute mon âme qu'elle n'ait pas lâché ma main et que j'aie été assez fort pour la retenir. Et je suis revenu au moment où elle levait la jambe pour traverser. J'ai revécu ce moment une deuxième, puis une troisième fois. Et j'ai compris. La quatrième fois, j'ai serré très fort sa main et tiré de toutes mes petites forces. Ma mère s'est retournée, surprise et a suspendu son mouvement. Le bus est passé. Elle a frissonné. Je l'ai serrée si fort, ce jour-là...
J'ai essayé de lui dire, mais elle m'a regardé avec tellement d'amour... Je n'ai plus protesté pour aller chez le dentiste. Je suis même devenu médecin.
C'est drôle comme la vie ne tient parfois qu'à un fil. J'ai beaucoup joué avec mon talent, je me suis amusé à changer des détails ridicules de la vie pour voir. C'est là que j'ai compris que je ne pouvais sauter en arrière que de trente secondes. J'ai donc appris que je n'étais pas tout-puissant. Je n'ai pas pu « ressusciter » ma mère quand elle est morte du cancer quelques années après. Je n'ai jamais pu sauver quelqu'un d'autre d'une mort accidentelle. Je n'ai jamais pu gagner au loto, mais j'ai réussi à gagner de nombreuses fois à la roulette avant de me faire interdire de casino. Finalement, ce don m'est devenu familier. Aujourd'hui je ne l'utilise que pour consolider les petits plaisirs de la vie et pour corriger certains gestes médicaux en urgence.
Avec le temps, je me suis persuadé que ce talent n'avait que des côtés positifs. J'ai pourtant souvent remarqué des « traces » du passé alternatif dans le présent. Un regard, un rire, une réminiscence inexplicable d'un passé que j'ai effacé, comme s'il avait quand même laissé une impression. Comme le frisson de ma mère à côté du bus. C'est étrange.
Ce soir au dîner, nos invités qui s'étaient esclaffés après le vin renversé, ont juste souri en voyant le verre vide tomber. Je suis habitué à ces réactions avant-après. Pourtant, ce soir, la femme qui est en face de moi a éclaté de rire. Exactement comme la première fois. Le même rire. Tout le monde l'a regardée et les autres ont commencé à rire de nous : ma sœur pour avoir été maladroite, et moi pour ne pas avoir déplacé son verre avant. J'ai souri. La femme m'a regardé dans les yeux. J'ai frémi. Nous ne la connaissions pas avant ce soir. Une amie d'amis. Elle est extraordinairement belle et très détendue. Elle n'est pas accompagnée et les hommes autour de la table lui lancent des regards de coq. Les femmes évitent de parler avec elle.
Elle m'intrigue. Je sens chez elle quelque chose de différent. Elle joue un rôle et je n'aime pas ça. Je décide de tenter une expérience.
J'attends le moment où elle boit une gorgée de vin et je rembobine. Plusieurs fois. Une centaine de fois. Personne ne s'est rendu compte de rien, naturellement. Mais maintenant ses joues sont un peu plus roses. Comme si elle avait bu plus qu'une gorgée. Elle est silencieuse. Elle semble comme éteinte. Mais elle lève la tête et me regarde dans les yeux. Un regard de flamme qui me fait rougir. Je soutiens son regard pendant quelques secondes, puis elle baisse les yeux. Progressivement elle arrête de capter l'attention des convives. Personne n'aime les gens qui ont le vin triste, ou les femmes qui boivent trop.
Je suis content de ma petite expérience. C'est bien fait pour elle.
Et puis, juste au moment où je bois une gorgée de vin, elle allonge la jambe vers moi et pose son pied nu (nu ?) sur ma cheville. Je ressens un choc électrique tellement puissant que j'en lâche mon verre. Maintenant c'est mon pull qui est taché et tout le monde a éclaté de rire. Sauf elle. Je murmure quelques mots d'excuse et je rembobine. Moi, ridicule ? Jamais, si je peux l'éviter !
Je rembobine et tiens fermement mon verre de vin juste avant qu'elle ne me touche. Je suis certain d'avoir réussi, mais pourtant je me tache. Dix fois, je reviens en arrière et dix fois je renverse ce foutu verre. Elle me regarde toujours. Je me sens un peu saoûl. Je décide de laisser filer. Je me lève de table en bredouillant des excuses et je me dirige vers la salle de bains pour me nettoyer.
C'est là qu'elle me rejoint. C'est là que nous faisons l'amour. C'est là que je rembobine cent fois le moment où nous jouissons. Je sais qu'elle n'aura qu'un souvenir diffus de ces multiples orgasmes, mais moi je suis pleinement heureux de les revivre. Et tellement de fois !
J'ai dit cent fois, mais je ne sais plus. Nous sommes maintenant tous les deux debout contre le mur, épuisés. Elle me regarde et me caresse la joue.
— J'aime faire et refaire l'amour avec toi, dit-elle. Moi c'est trente secondes, et toi ?
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| | | Auzelles
Messages : 4794 Date de naissance : 16/10/1949 Date d'inscription : 25/10/2017 Localisation : Entre Crau et Camargue
| Sujet: Re: L'historiette du jour... Ven 5 Jan - 7:33 | |
| L'historiette du jour : Ma fille d'ailleurs de Marie KléberMa fille, Tu seras sûrement surprise de lire ces deux premiers mots. Laisse-moi un peu de temps pour te les expliquer. Je ne te parlerai pas de moi, pas trop du moins. Ca ne servirait à rien. Ca ne changerait rien pour toi. - Lire la suite de l'historiette:
Ma fille, Ces mots sonnent juste à mon oreille. Ils sont empreints de douceur, mêlée de gêne. Pour toi, ils ne doivent pas dire grand-chose. J’imagine qu’ils ne se sont épanouis que dans la bouche d’une autre femme que moi, qui elle a eu la chance de te voir grandir, à ses côtés. Je n’écris pas ces lignes pour récolter un quelconque pardon, ni pour te demander de m’accepter dans ta vie. Je les écris pour te dire que j’existe, que nous sommes liées par une force vivante, un destin commun. Il y a quelques jours, une sœur du couvent a demandé à me voir, à l’aube du grand départ. Nous nous connaissions bien. En lui tenant la main, elle m’a raconté une histoire étrange, celle d’un pays quitté depuis longtemps, pour fuir fantômes et souvenirs d’un ventre arrondi, sans enfant à la sortie. J’ai fait mon deuil en désertant le monde des vivants. L’enfant à la sortie, c’était toi. Tu étais en vie. On me l’avait caché. Selon les dires, tu n’avais pas survécu. Pourquoi ? Pour cacher la honte. Certaines choses restaient inconcevables à cette époque-là. On m’avait toutefois laissé aller à terme. J’étais une jeune femme comblée et toi un bébé tranquille. Tu bougeais peu. Tu aimais surtout te tourner la nuit. Quand je calais mes mains sur mon ventre, j’avais l’impression que tu te rapprochais d’elles, que tu te lovais dans le creux formé par la manière dont elles étaient positionnées. Je tricotais des chaussons, des petits cardigans et je venais de terminer une belle couverture pour les nuits froides. Je t’attendais avec la ferme intention de me dresser entre toi et le reste du monde, prête à m’exiler si on ne nous acceptait pas. Et puis tous mes rêves se sont envolés avec cette annonce truquée. Il y a eu un enterrement auquel on m’a dissuadée d’assister. La révélation de la religieuse m’a donc prise de court. Ma fille était vivante. J’étais presque heureuse, bien que terriblement peinée par tous ces mensonges qui nous avaient privés l’une de l’autre.
Ma fille, J’espère que tu es heureuse, que tu as eu une enfance douce, que tu as été aimée, qu’on t’a choyée, que tes souvenirs sont emplis de chaleur et de rires et que tes chagrins ne sont pas trop lourds à porter. Depuis que je sais, je ne sais plus rien. Je me suis posée mille questions avant de t’envoyer ces mots, avant d’oser faire ce pas vers toi. J’avais peur de tout gâcher, de t’embrouiller. Et puis je me suis souvenue de ma mère qui me disait toujours que les secrets s’enterrent mais brisent bien trop de vies, sans qu’on ait le temps de les faire taire. Alors je me suis lancée, incertaine, comme une enfant devant sa première rédaction, incapable de trouver les mots justes, incapable de savoir comment tu allais accueillir ces lignes hésitantes, ce premier pas vers l’inconnu. Je dépose ces mots avec tout l’amour d’une mère pour son enfant. Je t’ai rêvé tant de fois. Et voilà que tu es là, que tu vis, que ton cœur bat quelque part sur cette planète. La vie m’a blessée avant de me gâter. La roue tourne, la vie est bien faite.
Ma fille, Prends soin de toi. N’espère que le meilleur, ne vis que pour le beau, le vrai. Aime intensément. Ne laisse personne décider de ton destin. C’est peut-être le seul conseil avisé que je puisse te donner. Pour le reste, je t’imagine assez solide pour faire de ta vie un bel hommage à la mienne.
Hélène (ta mère)
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| | | Auzelles
Messages : 4794 Date de naissance : 16/10/1949 Date d'inscription : 25/10/2017 Localisation : Entre Crau et Camargue
| Sujet: Re: L'historiette du jour... Sam 6 Jan - 7:04 | |
| L'historiette du jour : L’aïeul avait des oliviers de SergeIl ne pourrait aujourd’hui localiser précisément cette terre d’Italie, sèche comme le vestibule de l’enfer. Il a marché sur un méchant chemin, tenant la main de ses parents, respirant un air qui lui brûlait les yeux et qu’il ne connaissait pas. Lorsqu’il a franchi la première margelle de la vieille maison, la nuit s’est jetée dans ses yeux d’enfant, et la fraîcheur des pierres a tenté de racheter l’outrage du soleil sur sa peau. Ensuite, il s’est immergé dans cette odeur suave, végétale, ancestrale, d’huile de feu et de bois mêlés, et ses yeux se sont réhabitués peu à peu... - Lire la suite de l'historiette:
Il a vu de vieilles femmes au visage couleur de cendre, quelques meubles rustiques de bois sombre, et au fond sur la droite, une modeste porte entrouverte, encore une margelle à franchir, à descendre. Puis, la chambre basse, les tomettes usées, les volets tirés pour tenter de retenir la chaleur et la lumière. Poussé par des mains d’adultes, l’enfant s’est avancé vers le lit trop haut pour lui, il a touché les draps rêches mais brodés avec habileté, dans lesquels reposait l’ancêtre entouré de quelques pleureuses chargées de plaider sa cause. Son bras noueux comme les maigres oliviers qui cernent sa demeure, s’est déplié avec économie, et sa main légère comme une aile, s’est posée sur la tête de l’enfant qui se trouvait à ce moment-là, exactement à la bonne hauteur. C’est tout ce qu’il a pu transmettre l’ancêtre, à ce rejeton qu’il n’avait jamais rencontré, venu tout droit d’un pays dont il ne connaîtra jamais la langue, et – comble de malchance – au moment même où il s’apprêtait à rejoindre la terre, sa terre. C’est tout ce qu’il a trouvé à donner et c’est déjà beaucoup, un peu de son souffle, l’amour de sa terre, des siens et de la belle ouvrage. Un simple geste, un effleurement qui enchainait mystérieusement l’enfant à celui qui allait partir, et à tous ceux qui l’ont précédé sur cette terre ingrate, où le soleil et le vent dans leur cruauté, torturent les arbres et dessinent des crevasses sur le sol. L’enfant a regardé l’ancêtre une dernière fois, son visage creusé par une vie simple et honnête, il a senti alors quelque chose de mystérieux, d’effrayant et de rassurant à la fois, une douleur et une délivrance, l’ombre et la lumière. Il aurait aimé s’attarder sur cette lumière, sur la couleur de ses yeux ; on peut parler simplement avec les yeux quand le corps ne répond plus, mais même pour ça, il était déjà trop tard. L’ancêtre qui dans sa sagesse avait déjà compris et prévu tout ça, lui a donné sa bénédiction, sans réserve, et l’enfant est reparti, en remontant difficilement les deux margelles qui mènent jusqu’à la fournaise. Il a repris le chemin en sens inverse, tenant la main de son père. Le soleil, indifférent à la vie qui s’enfuit poursuivait sa course, comme d’habitude.
Tous les enfants de son âge posent ce genre de question : — Dis, papa, est-ce que les arbres ont mal ?
Bien plus tard, il s’est souvenu, il a cherché à savoir : l’arrière-grand-père, le terrain, les oliviers, la maison de pierre aux deux margelles. L’embarras des adultes a tué une seconde fois l’aïeul. Dans son insouciance, l’enfant n’avait pas osé harceler son père de « pourquoi ? », il aurait pu, il aurait dû. Ne cachez jamais la vérité aux enfants, c’est destructeur. Peu avant d’être un homme il a enfin ouvert les yeux, il a compris que sa famille avait déserté pour un tas de bonnes raisons – logiques ou obscures –, ce morceau de planète abandonné des dieux. La ligne des ancêtres avait été brisée, et cette terre, leur âme, vendue au plus offrant, pour ne pas dire au diable lui-même. Il ne réalise qu’aujourd’hui en écrivant ces lignes, que l’aïeul dont il n’a même pas retenu le prénom savait tout ça d’avance. N’ayant pas eu la force de pardonner cette trahison à ses descendants, il ne restait – dénuement extrême – le jour de son grand départ, aucune tête sur laquelle il eut souhaité poser la main. Un enfant, c’est différent, c’est innocent, un enfant ça peut tout changer, tout recommencer. Cela l’a-t-il apaisé, est-il parti rassuré ? Après toutes ces années, l’enfant lui, en est sûr ; comme il est sûr qu’il n’a, depuis ce frôlement imperceptible sur sa tête, jamais cessé d’appeler, de cultiver le souvenir de cette terre aride ou les oliviers se tordent de douleur. Curieusement, cette vision le rassure, surtout lorsqu’il effleure machinalement la tête de ses propres petits-enfants. Il se sent alors relié par la plus solide des chaines, à une multitude qu’il pressent et qu’il a adoptée sans même la connaître. S’il fallait se représenter la sérénité par une image, elle devrait d’après lui plutôt ressembler à celle d’un petit garçon d’un temps révolu, cultivant l’insatiable nostalgie d’une certitude, d’un instinct, celui d’une terre brûlée de lumière, qui n’a pourtant pas daigné garder la trace de ses pas. S’il avait pu parler, l’aïeul lui aurait sûrement donné cette recommandation : « Pars maintenant petit, quitte cette maison. Sur le seuil, marque un arrêt et laisse le vent chaud fouetter ton visage, puis baisse toi, pose un genou à terre et ramasse une bonne poignée de cette poussière que tu cacheras au fond de ta poche. Une fois chez toi, là-bas, conserve-la précieusement, tu lui trouveras bien une petite place. Fais ça pour moi petit, mais surtout pour toi, juste avant de reprendre ce chemin que tu n’emprunteras plus jamais. » S’il avait pu lire dans les yeux de celui qui allait, qui devait partir, s’il avait pu deviner le fond de sa pensée, qu’aurait-il pu encore y découvrir ce petit garçon trop sage ? Il ne lui restait que le léger passage de cette main, une main de labeur et de pardon, juste un signe avant le grand passage.
Celui dont on ne peut prononcer le nom, ne se manifeste-t-il pas d’après le livre des livres, « dans le murmure d’une brise légère ? ».
L’aïeul avait des oliviers, il aimait sa vie et cultivait aussi la sagesse
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| | | Auzelles
Messages : 4794 Date de naissance : 16/10/1949 Date d'inscription : 25/10/2017 Localisation : Entre Crau et Camargue
| Sujet: Re: L'historiette du jour... Dim 7 Jan - 6:06 | |
| L'historiette du jour : Le conte des Rois Mages de André TheurietLes trois rois mages, Balthazar, Melchior et Gaspard, portant l’or, l’encens et la myrrhe, étaient partis à la recherche de l’Enfant Jésus, mais comme ils ne connaissaient pas bien le chemin de Bethléem, ils s’étaient égarés en route et, après avoir traversé une forêt profonde, ils arrivèrent à la nuit tombante dans un village du pays de Langres. Ils étaient las, ils avaient les bras coupés à force de porter les vases contenant les parfums destinés au fils de Marie et, de plus, ils mouraient de faim et de soif. Ils frappèrent donc à la porte de la première maison du village, pour y demander l’hospitalité. - Lire la suite de l'historiette:
Cette maison, ou plutôt cette hutte, située presque à la lisière du bois, appartenait à un bûcheron nommé Denis Fleuriot qui y vivait fort chichement avec sa femme et ses quatre marmots. Elle était bâtie en torchis avec une toiture de terre et de mousse à travers laquelle l’eau filtrait les jours de grande pluie.
Les trois rois, vannés de fatigue, heurtèrent à la porte, et quand le bûcheron l’eut ouverte, prièrent qu’on voulût bien leur donner à souper et à coucher.
— Hélas ! braves gens, répondit Fleuriot, je n’ai qu’un lit pour moi et un grabat pour mes enfants, et quant à souper, nous ne pouvons vous offrir que des pommes de terres cuites à l’eau et du pain de seigle. Néanmoins, entrez, et si vous n’êtes pas trop difficiles, on tâchera de vous arranger.
Ils entrèrent donc. On leur servit des pommes de terre qu’ils dévorèrent de grand appétit, et le bûcheron et sa femme leur cédèrent leur lit, où ils dormirent à poings fermés, sauf Gaspard qui aimait ses aises et qui se trouvait fort à l’étroit entre le gros Balthazar et le géant Melchior.
Le lendemain matin, avant de se remettre en route, Balthazar qui était le plus généreux des trois, dit à Fleuriot.
— Je veux vous donner quelque chose pour vous remercier de votre hospitalité.
— Nous vous l’avons offerte de bon cœur, mais nous ne nous attendons à rien, braves gens ! répondit le bûcheron en tendant la main tout de même.
— Je n’ai pas d’argent, reprit Balthazar, mais je veux vous laisser un souvenir qui vaudra mieux.
Il fouilla dans sa poche et en tira une petite flûte d’Orient qu’il présenta à Fleuriot, et tandis que celui-ci, un peu déçu, faisait la grimace, il continua :
— Si vous formez un souhait en jouant un air sur cette flûte, il sera immédiatement exaucé. Prenez, n’en abusez pas, et ne refusez jamais l’aumône ni l’hospitalité aux pauvres gens.
* * *
Quand les trois rois eurent disparu au tournant du chemin, Denis Fleuriot dit à sa femme, en soupesant dédaigneusement la petite flûte dans sa main :
— Ils auraient pu nous faire un cadeau moins bête que ce flageolet ; néanmoins je vais tout de même essayer de flûter pour voir s’il ne se sont pas moqués de nous.
Alors ils s’écria :
— Je voudrais avoir pour notre déjeuner du pain blanc, un pâté de venaison et une bonne bouteille de vin ! Puis il joua sur la petite flûte un air du pays, et tout d’un coup, à son grand ébahissement, il vit sur la table, couverte d’une fine nappe blanche, le pain, le vin et le pâté demandés.
Dès qu’il fut certain du pouvoir de sa flûte, il ne s’en tint pas là, comme bien vous pensez, et il demanda tout ce qui lui passa par la tête. Il flûtait du matin au soir. Il eut des habits neufs pour sa femme et ses enfants, de l’argent de poche, une table abondamment servie, et, comme il lui suffisait de souhaiter une chose pour l’avoir aussitôt, il devint en peu de temps un des richards du canton. Alors, à la place de sa hutte à demi effondrée, il fit construire un superbe château qu’il remplit de meubles précieux et de tapisseries, et le jour où la construction et l’ameublement furent achevés, il donna une grande fête pour inaugurer sa nouvelle demeure.
Autour d’une table richement servie, étincelante d’argenterie et de lumière, il avait réuni tous les gros bonnets de l’endroit. Lui-même se tenait au haut bout avec sa femme parée comme une châsse, tandis que des musiciens installés dans une galerie supérieure régalaient les convives de leurs plus joyeux airs. Afin que le festin ne fût pas troublé, il avait ordonné à ses gens de ne laisser sous aucun prétexte les fâcheux et les mendiants entrer dans la cour, et même il avait préposé à la porte deux grands diables de valets armés de bâtons, qui avaient pour consigne d’écarter tous les loqueteux et porteurs de besace des environs.
Aussi, sûrs de n’être point dérangés, les invités s’en donnaient à cœur-joie, jouant des mâchoires, humant le bon vin et s’ébaudissant à ventre déboutonné…
* * *
Or, ce soir-là, les trois rois mages, ayant déposé leurs présents au pied de l’enfant Jésus, revenaient de Bethléem. En traversant la forêt, ils reconnurent le village où ils avaient couché, virent le château tout illuminé, et Gaspard dit en groguenardant à Balthazar :
— Je serais curieux de savoir si notre homme n’a pas mésusé de ta petite flûte et si, depuis qu’il est riche, il a tenu sa promesse d’être doux envers le pauvre monde.
— Voyons, répondit laconiquement Balthazar.
Ils s’accoutrèrent en mendiants, changèrent leurs belles robes contre des haillons et se présentèrent à la porte du château en demandant l’hospitalité pour la nuit ; mais on les reçut fort mal, et comme ils insistaient, menant grand bruit, Fleuriot mit la tête à la fenêtre et, apercevant des mendiants, commanda qu’on lâchât les chiens à leurs trousses, de sorte qu’ils détalèrent au plus vite, non sans avoir les jambes fort endommagées.
— Je m’en étais douté ! maugréa le sceptique Gaspard, qui avait été mordu au mollet. — C’est bon, répliqua le géant Melchior, il ne l’emportera pas en paradis !… Il saura ce que pèse la rancune des trois Rois mages !…
Cependant les convives continuaient à banqueter joyeusement. On était arrivé au dessert, et Fleuriot, un couteau à la main, était en train de découper une colossale brioche, quand on entendit dans la cour les grelots d’une chaise de poste traînée par quatre chevaux fringants, caparaçonnés d’or. Fleuriot mit de nouveau le nez à la fenêtre et voyant qu’il lui arrivait encore de nobles invités, ordonna qu’on les fît monter en toute hâte. Lui-même vint avec un flambeau les recevoir à la porté de la salle. Alors on vit entrer les trois Rois mages en pompeux appareil couronne en tête, vêtus de pourpre et de pierreries. Fleuriot, qui avait reconnu ses anciens hôtes, fit bonne contenance et, avec force salutations, les pria de prendre place à table.
— Merci ! dit Balthasar sèchement, nous ne mangeons pas chez un homme qui reçoit si mal les pauvre gens.
— Je vous fais compliment de la façon dont vous tenez vos promesses ! cria Melchior de sa grosse voix.
— Ah ! tu lâches tes chiens sur les mendiants ! ajouta Gaspard en se tâtant la jambe ; attends, je vais te jouer un air que tu ne connais pas encore !…
Et, tirant de sa poche une petite flûte pareille à celle qu’on avait donnée à Fleuriot, il la fit résonner terriblement. En un clin d’œil, la table, les convives, le château s’évanouirent, et le bûcheron se retrouva, seul et nu, sur la lisière du bois,devant sa hutte en ruine, avec sa femme et ses enfants en haillons.
— Heureusement il me reste ma flûte ! songea-t-il.
Mais il eut beau fouiller ses poches percées ; le talisman avait disparu avec les trois Rois mages.
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La part du pauvre à l'Epiphanie
Et c’est depuis ce temps qu’on a coutume, lorsqu’on coupe le gâteau des rois, de mettre soigneusement de côté la part des pauvres.
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| | | Auzelles
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| Sujet: Re: L'historiette du jour... Lun 8 Jan - 7:07 | |
| L'historiette du jour : Le Pari de FatMacDoOn était monté assez haut pour ne plus voir le village. La pente était plutôt abrupte. Il nous avait fallu reprendre notre souffle à plusieurs reprises, s'asseoir quelques secondes sur un des tas de pierres. D'autres étaient restés debout, penchés vers le vide, les mains sur les genoux. On avait tous le cœur prêt à sortir par les oreilles, mais on faisait tout de même attention. On était plus tout jeune non plus. On était loin de la bande de branleurs, capable de franchir un col presque en courant. Moi, ça allait encore, j'avais ça dans le sang, après tout, mais je surveillais Anthony, je le savais fragile depuis son opération. - Lire la suite de l'historiette:
Un peu plus haut se trouvait la forêt de mélèzes. On en voyait déjà les contours. Matthieu nous assurait que le soleil qui nous assommait sans relâche s'y faisait beaucoup plus rare. Ça nous a redonné un peu d'énergie, il faut dire qu'on crevait de chaud. Vraiment. Parfois je me demande ce qui fait qu'on se lance dans des projets comme celui-là. Quand bien même tous les signaux indiquent qu’on tourne autour d’une bonne grosse idée à la con, rien ne nous retient de recommencer. Tant que la vie nous offrira de se prouver à soi-même qu'on vaut bien l'investissement, on y retournera. Carla nous expliqua qu'il valait mieux prendre les bois plus à droite, et je ne pourrais pas vraiment dire pourquoi, mais tout m’est revenu à ce moment là. Un peu comme une claque dans la face. J'ai alors enfin compris qu'on était là pour ça. Des années nous séparaient de ce putain de pari. Un pari plus que ridicule, comme souvent. Décrété par des voix trop jeunes et trop bruyantes, au fond d'un bar du quatorzième. Je pensais qu’on en reparlerait jamais. Et pourtant ces cons là l'avaient gardé vivant, l'avaient nourri en silence et réussi à me piéger. Je me suis senti vraiment couillon d’un seul coup. On devrait se méfier plus souvent de nos amis, surtout les vrais, ceux-là même que plus rien n'étonne. Mais on devrait encore plus se méfier de cette part de nous-même qui tourne en rond dans une cage, maintenue à l'écart quelque part au fond de l'être car elle est capable de tout. Et lorsqu'on a qu'une seule parole, et trop d’orgueil, lorsque l'alcool est un flirt devenu stable, que le regard de l'autre est un challenge accepté d'avance, on ne devrait jamais être autorisé à se mêler au reste du troupeau. On avait donc l'air d'une bande de potes au sacs à dos bien remplis, on grimpait en se souriant, mais j'étais le seul à avoir mon sac de couchage. Les autres redescendraient avant le coucher du soleil et savaient que je n'allais pas discuter, que je n'allais surtout pas les suivre. Rater l’occasion de savoir n’était pas une possibilité. Alors il fallait espérer que ces histoires de bête sanguinaire, laissant traîner derrière elle les restes des randonneurs et autres bergers qu'elle avait pu croiser, n'étaient finalement rien d'autre que des mots. Des fables qu'on se répétait pour y croire. Des légendes ajoutant un peu de piquant au séjours des vacanciers. D'ailleurs, on nous avait répété à moi et à ma sœur que tout ça avait été inventé pour faire fuir les promoteurs. Moi j'avais lu les articles des journaux chez ma tante, j'avais même vu la photo qu'avaient prit les gendarmes. Mais on continuait à nous répéter que ça n’avait rien à voir. Et puis un jour la maman d’Anaïs, une fille de ma classe, était devenue inconsolable, elle pleurait tout le temps. On l’avait croisé à la boulangerie et ma mère disait qu’elle était même devenue « un peu folle la pauvre femme ». Quelques semaines plus tard, mon père nous apprenait qu'on allait vivre à Paris. Et même après avoir déménagé, je faisais encore pipi au lit.
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| | | Auzelles
Messages : 4794 Date de naissance : 16/10/1949 Date d'inscription : 25/10/2017 Localisation : Entre Crau et Camargue
| Sujet: Re: L'historiette du jour... Mar 9 Jan - 7:45 | |
| L'historiette du jour : Les globules - Sang-blague de SorgniardCeci est une histoire d'amour dont les protagonistes sont de couleurs différentes. Elle globule rouge, lui globule blanc ! Alliance impossible a priori. Mais ils s'aimaient si fort ! A l'insu des parents, ils se retrouvaient tous les soirs dans une petite varice sympa, un peu éloignée d'une grande artère, et dégustaient, avec modération, « un petit rouge » de qualité. Ils s'embrassaient sans compter, car à cette heure là il y avait peu de clients. C'était leur veine. Vers minuit, au moment où le cœur bat moins fort, et pour éviter la cohue. - Lire la suite de l'historiette:
Ils rentraient au domicile familial. Ces amours cachées les mettaient dans une situation inconfortable, moralement. Il faudrait bien un jour ou l'autre en parler aux parents et envisager le mariage ! La crainte aussi, pour l'un comme pour l'autre, d'une guerre microbienne ou d'une transfusion, les décida à révéler leur amour... La mère du globule blanc fut la moins surprise, car elle avait depuis longtemps remarqué des traces de rouge sur la chemise de son fils. Tout se passa le mieux du monde entre gens intelligents et généreux... Le mariage eut lieu en plein cœur ! Et pour marquer leur joie immense, même certains microbes furent invités ! Mais leurs enfants, me direz-vous, étaient-ils roses ? C'est là où Dieu intervint, semble-t-il, car ils eurent une nombreuse descendance, une fois rouge, une fois blanche et ainsi de suite. Le pourcentage de réussite des mariages mixtes est en général assez faible, mais là, pour nos globules, ce fut du sang pour sang !
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| | | Auzelles
Messages : 4794 Date de naissance : 16/10/1949 Date d'inscription : 25/10/2017 Localisation : Entre Crau et Camargue
| Sujet: Re: L'historiette du jour... Mer 10 Jan - 6:38 | |
| L'historiette du jour : Evasion de LaikaA la mi-juin, le semestre n’est pas encore terminé à Torrance House, loin de là. C’est le moment où le travail est le plus intense et le plus exigeant car les vents du désert ont balayé les nuages, le ciel est alors d’un bleu éblouissant. Il peut alors servir d’écran pour les séances que certains attendent avec impatience. Elle a atterri là après des mois de galère, elle n’avait guère le choix. Le travail est pénible car il faut soulever les corps, pousser les fauteuils, donner le bras, rassurer, encourager à la marche, sourire, guider et écouter. C’est le plus difficile. Et puis elle se passerait bien de ces séances à l’extérieur de l’établissement mais le directeur est un adepte des dernières trouvailles technologiques, il peut les offrir aux pensionnaires fortunés de Terrance House qu’il cajole comme l’espèrent les familles. - Lire la suite de l'historiette:
Quand il lui a expliqué le fonctionnement de ces machines à créer des images, elle a finalement été séduite, mais elle a réalisé tout le travail supplémentaire que cela supposait : déplacer les pensionnaires, les installer confortablement, placer les casques en faisant très attention à ne pas blesser les oreilles, la peau fragile des visages – elle est devenue si fine – les rassurer. Certains ont refusé de participer à l’aventure impressionnés par tous les fils reliés aux casques et leur mécanisme qui donne – elle l’a expérimenté – la sensation d’enfermement. Mais elle a expliqué avec patience de cette voix douce qui les apaise, qu’elle est présente, tout près d’eux et qu’il suffit de lever la main pour tout arrêter. Finalement ils sont assez nombreux à venir aux séances pour ce moment hors du temps. Pour eux c’est une façon de se sentir toujours vivants et d’oublier pour un moment la vague angoisse des jours sombres à venir qu’ils savent inéluctables. La vie s’en va doucement même ici à Torrance House. Quand on arrive sur la terrasse et que les portes – fenêtres se referment, on a l’impression de se retrouver dans un autre monde, loin de tout ce qui est familier et rassurant. A perte de vue s’étend la terre craquelée où roulent au gré du vent les tumbleweed. Seules quelques collines dénudées forment une barrière où s’accroche le regard mais aucune végétation ne pousse sur ces crêtes hostiles, c’est du moins comme ça qu’elle les perçoit, comme si là-bas quelque chose la menaçait. Mais elle ne laisse rien paraître de cette émotion qui la saisit chaque fois au moment de les installer face au ciel où les machines vont projeter les images. Une fois les fauteuils et les chaises longues bien alignés tous se taisent dans une sorte d’abandon, prêts pour le voyage. Avant la séance elle doit chaque fois recueillir les désirs des uns et des autres et traduire en images pour les machines ce qui reste sur les vieilles photos des souvenirs ou des émotions d’autrefois : les traces des visages, des rires, un jardin au printemps, le regard d’un chien. Elle doit doser bien sûr la force émotive des images car le risque est bien réel, ils sont devenus si vulnérables ! Le médecin le lui répète sans cesse. Depuis quelques temps c’est Monsieur Victor qui l’inquiète. Elle s’est attachée à lui jusqu’à lui faire de temps à autre la lecture au hasard de ses pauses. Il se confie à elle les soirs où la douleur se fait plus aigüe tout en restant toujours discret. Il n’aime pas trop la compassion. Elle n’insiste jamais et se contente de lui prendre la main. Mais récemment il lui a demandé de l’aider. Elle n’a pas voulu penser à ce que cela signifiait mais ces derniers jours, il l’a vraiment suppliée avec un regard qui depuis la tourmente et vient troubler son sommeil, la nuit, pendant de longues heures. Ce matin elle est fébrile en branchant les casques aux machines. Elle a eu du mal à se concentrer vraiment pour préparer les projections de chaque pensionnaire mais maintenant elle est prête. Le plus difficile a été de préparer celle projection de Monsieur Victor qui a choisi cette fois encore les photos de sa femme, belle cheveux au vent, avec ses beaux seins ronds et ses cuisses qu’il aimait tant caresser. C’est ce qu’il a précisé cette fois – lui d’habitude si pudique – peut-être pour mieux faire comprendre sa détresse. Les images la montrent sur une plage seule ou accompagnée de l’enfant qui sourit avec sa coupe de cheveux rigolote. Sur la dernière, la petite passe son bras autour du cou d’un chien. Elle respire très fort. Le moment est venu. D’un geste brusque elle pousse à fond le bouton du casque de Monsieur Victor. Dans quelques instants elle hurlera au téléphone au médecin : « Venez vite pour Monsieur Victor ».
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| | | Auzelles
Messages : 4794 Date de naissance : 16/10/1949 Date d'inscription : 25/10/2017 Localisation : Entre Crau et Camargue
| Sujet: Re: L'historiette du jour... Jeu 11 Jan - 6:48 | |
| L'historiette du jour : Illusion Cathodique de Serge DebonoQuand j'étais enfant, la Guerre Froide ne m'effrayait pas, car j'étais certain que Goldorak viendrait pour nous sauver. Sérieusement, ils auraient fait quoi les G. I’s ou l'Armée Rouge contre une paire de Fulgure aux poings ? Quand j'étais enfant, la fin du monde ne m'effrayait pas non plus, car si Doc Brown avait bricolé une Doloréane en machine à remonter le temps, nos gouvernements pouvaient bien faire la même chose avec leurs Boeing et leurs fusées. Dans le pire des cas, on montait tous sur l'Enterprise avec Spok et le Capitaine Kirk, et tchao l'Apocalypse ! - Lire la suite de l'historiette:
Quand j'étais enfant, je n'avais pas peur des fantômes, car je savais que s'ils investissaient ma demeure il s'agirait d'imposteurs, et Scoubidou et sa bande débouleraient dans leur Combi Wolkswagen pour les démasquer en leurs faisant péter les plombs à l'aide de stratagèmes bigrement tordus et de Sandwichs douze étages. Au pire, s'il s'agissait de vrais fantômes, je n'aurais qu'à faire appel aux mecs de Ghostbusters. Un coup d'aspirateur, et hop !
Quand j'étais enfant je ne craignais pas qu'un extraterrestre débarque chez moi, car je savais qu'il serait pacifiste et dénué de l'esprit colon dont nous sommes dotés. On aurait fait des ballades à vélo dans le ciel... Il aurait eu une grosse tête, de grands yeux, un long cou, une lumière rouge brillant à travers l'abdomen, et le besoin urgent de passer un coup de fil à la maison...
Quand j'étais enfant, je ne craignais pas non plus qu'une bande de petits monstres hideux n'envahisse ma maison, semant le chaos dans chaque pièce où ils passent, piétinant mes peluches, démembrant mon Big Jim, vidant le frigo et le bar de mon père... Bref, mettant une pagaille qui aurait fait passer Beyrouth pour un goûter d'anniversaire ! Parce que moi, jamais au grand jamais je n'aurais nourri le Mogwai après minuit ! Fallait écouter le vieux Chinois, bordel ! Bon, en cas de problème, il reste toujours le micro-ondes...
Quand j'étais enfant, je n'avais pas peur de la Police, car s'il y avait des Starsky et Hutch et des Axel Foley dans mon poste de télé, je me disais qu'il devait y en avoir aussi dans les rues de ma ville...
Quand j'étais enfant, je n'avais pas peur d'être pauvre, car comme le disait Charles Ingalls dans La petite maison dans la prairie, la richesse la plus importante est celle qu'on a dans le cœur... Mais si ! Caroline... euh, enfin je veux dire ma mère, n'aurait qu'à rallonger la soupe tandis que Charles... euh, je veux dire mon père, s'en irait couper du bois de l'aurore jusqu'au crépuscule, sans trop qu'on sache pourquoi... En tout cas, une fois sa muscu terminée, il n'oublierait pas de rentrer à temps pour nous jouer des airs de violon, pour nous endormir... et couvrir les gargouillis de nos ventres...
Je suis de cette génération qui a rêvé qu'un jour elle irait travailler en vaisseau spatial, un sabre laser au côté... Au final, à part une certaine déshumanisation de notre société, les téléphones portables de Star Trek, et un R2 D2 qui se casse toujours la gueule dans les escaliers...
Je suis de cette génération qui pensait que voir Eddie Murphy et Yannick Noah sur les couvertures de magazine, ça signifiait la fin des préjugés et du racisme primaire... Au final, à part l'épisode Obama, on préfère toujours voir un noir swinguer derrière un micro, ou courir pour gagner des médailles...Ah ! Oui, ils nous font bien rire aussi... euh comme avant en fait...
Je suis de cette génération qui pensait que Coluche finirait bien par être élu un jour Président des Français, pendant que Michael Jackson poserait sa couronne sur l'Amérique pour en faire un gigantesque Disneyland multiraciale, funky et rock'n'roll, avec plein d'enfants partout... et puis des fleurs... et des animaux aussi... et... Eh toi ! Oui, toi, la télé des années 80 ! Viens par ici. Dis-moi, tu t'es bien foutu de ma gueule en fait ! Tu sais où tu peux te les mettre tes Fulgures aux poings ?!
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| | | Invité Invité
| Sujet: Re: L'historiette du jour... Jeu 11 Jan - 6:52 | |
| une vraie prouesse cette historiette |
| | | Auzelles
Messages : 4794 Date de naissance : 16/10/1949 Date d'inscription : 25/10/2017 Localisation : Entre Crau et Camargue
| Sujet: Re: L'historiette du jour... Ven 12 Jan - 6:45 | |
| L'historiette du jour : T’as oublié d’éteindre le moteur de Caroline IwikTu ne m'as pas prévenu, t'avais rien laissé à découvert, juste un plan gribouillé sur l'emballage carton de ta dernière gourmandise, des flèches à contre-sens puisqu'il faudrait regarder derrière soi, plutôt deux fois qu'une. - Lire la suite de l'historiette:
C'est bien la première fois que tu disparais en laissant une trace, t'as semé les coquillettes de ton petit-déjeuner dans ton sillage, avant d'appartenir à nouveau aux décombres ambulants. D’habitude, tu disparais en un claquement de doigt, tout court, sans rien dire. Ça peut durer de très longues minutes, ou de très courtes semaines. Jamais plus d’un trimestre. Tu ne veux pas être retrouvée, je le sais, tu t’abandonnes à tes pertes de mémoire et tes illusions, tu vas où l’instinct te guide, et quand tu reviens tu me racontes tout, tout de suite, tu déballes et tu me dis, tu notes pas vrai ? Le soir, je tape tout sur ta vieille machine à écrire, la date de ta fugue pour titre. C’est un accord tacite, tu as accepté de vivre avec moi pour ne pas mourir seule. Mais en échange, je te laisse te dérober au présent pour ramener le passé au futur. Heureusement que je ne suis pas mauvais en conjugaison, sinon j’aurais fini moi aussi par perdre les pédales.
Quand j’étais gamin, je disparaissais parfois moi aussi. À six ans, je voulais que tu me trouves caché sous ton lit ou dans l’abri de jardin. À douze ans, je fuyais en cachant mes méfaits si j’entendais tes pas se rapprocher. À seize ans, je disparaissais pour la nuit, rentrais l’œil au beurre noir, ou maquillé de quelques traces vulgaires dans la nuque. Je sentais le fennec, les filles ou l’alcool, tu faisais les gros yeux et on en riait au dessert. Jamais on ne m’a dit qu’un jour, tu prendrais le pli et me filerais entre les doigts comme une adolescente légère et rebelle, les yeux cernés de rides et l’esprit un peu abusé de perdre les détails. C’est un compte à rebours malsain qui nous tient en haleine, bientôt tu ne te souviendras peut-être même plus de moi.
En attendant, je fais du tri dans tes vêtements, la plupart sont trop grands maintenant, la mémoire doit être bien lourde pour que tu aies perdu autant de kilogrammes. C’est exponentiel apparemment, je ne sais pas, les maths restent une science bien abstraite. Et tu te maquilles les lendemains, et tu t’excuses d’être frivole et vieille et amnésique. Et tu me prépares des tartines, du beurre salé et de la confiture de myrtilles, des fioritures. Je t’ai laissé ma chambre, sur la table de chevet tu collectionnes les pilules oubliées et les barrettes qui ne tiennent plus dans tes cheveux. Je dors dans le canapé-lit, tous les matins je range les draps, laisse traîner le traversin, on n’invite jamais personne, j’ai bientôt trente ans, pas de concubine, d’amoureuse ou de pacsée. Mais une cafetière, un grille-pain et des tickets de métro usagers. Parfois je découche quand tu me promets d’être là à mon retour, pour me rassurer tu prends un somnifère et un verre de vodka, tu me caresses le bras et m’encourages. T’aimerais que je trouve une petite gonzesse aux yeux verts, mais dis elle fera quoi de moi quand elle voudra poser sa brosse à dents et glisser ses petites culottes dans tes tiroirs. Maman, t’as pris tous mes tiroirs, t’as le monopole des brosses et des engueulades. Je te rassure et je découche, mais jamais pour finir la nuit dans les bras d’une gonzesse aux yeux verts, non, je sors avec mes copains et on finit la nuit autour de 16-64, accrochés à des manettes.
Revenons à nos moutons, à tes coquillettes et à ce plan. Je distingue bien un bateau mais y a pas vraiment de port dans le coin, encore moins d’océan, t’as dû en parcourir des kilomètres, faire du stop et fredonner sur Nova, bouder quand on changeait de fréquence. Je sors mon sac à dos North Face en toile cirée, celui que tu m’as offert à Noël dernier. J’mets un peu de bordel dedans, des trucs indispensables et puis le dernier chapitre de tes aventures aussi. Histoire de te donner l’envie de revenir. Ou de me donner des raisons de t’accompagner dans ton bout du monde. J’sais plus. J’ai loué une voiture, blanche s’il vous plaît, je voudrais que la route imprime des traces sur la carrosserie, l’abandonner sur une plage, que les vagues viennent tout effacer. Parfois, j’aimerais perdre la mémoire aussi, c’est injuste de devoir se souvenir de tout, pour deux, ou de rien, pour aucun.
J’ai suivi ton plan, fait le plein d’essence, acheté des petites barquettes Lu à la noisette. Et toi, tu m’attends installée bien sagement sur le pont d’un voilier, onze mètres de long, un seul mât et tes valises posées la. T’as sorti le champagne, les coupes jetables et ton vieux ciré jaune.
Des mèches grises te chatouillent le visage, du vent, du sable et du sel sur la peau. C’est toujours à la mer qu’on s’abandonne, la mémoire tempête et le cœur sablier.
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| | | Auzelles
Messages : 4794 Date de naissance : 16/10/1949 Date d'inscription : 25/10/2017 Localisation : Entre Crau et Camargue
| Sujet: Re: L'historiette du jour... Sam 13 Jan - 6:55 | |
| L'historiette du jour : La fin de Anne de MontsarratC'était la panique. Les grenouilles n'avaient plus de pattes arrières et les escargots plus de coquilles. Les lombrics se divisaient sans raison et n'en finissaient pas de se tortiller pendant que les cafards, un à un, mourraient de désespoir. Les coccinelles devenues folles se sectionnaient les ailes, les abeilles butinaient des excréments, les papillons se gavaient du miel abandonné dans les ruches, les fourmis ouvrières se suicidaient en masse par noyade dans les gouttes de rosée et les puces attaquaient les tiques. - Lire la suite de l'historiette:
C'était l'angoisse mais ce n'était pas grave : le pire allait arriver et bientôt cesserait la confusion. Les penseurs ne se poseraient plus de questions et personne ne serait là pour raconter ce qui s'était passé car rien, plus rien ne serait Passé.
« Que pouvons-nous faire? » demanda Lou à sa sœur pou, Pou.
Pou expectora un peu de sang et d'un signe de patte, ordonna à sa compagnie de quitter la tête blonde d'un bond de géant. Elle pressentait que quelque chose allait arriver. Mais quoi donc ?
Les deux dizaines d'insectes suceurs obéirent prestement et atterrirent la seconde suivante dans l'herbe du jardin, abandonnant les lentes dans les cheveux d'Amandine. Lou et Pou se réfugièrent sous la feuille d'un trèfle, non loin du gigantesque érable où quelques immondes oiseaux sans pitié « cuicuitaient ». Mieux valait se montrer prudent afin d'éviter d'être picoré. Les autres membres de l'amicale des poux se réunirent sur un brin de gazon, inconscients du danger, et palabrèrent de pas grand chose, jacassant silencieusement sur l'échelle humaine, des problèmes inhérents à la consanguinité et aux dangers de l'alcool végétal.
— Je ne sais pas, Lou, ce que nous pouvons faire, mais il nous faut trouver un autre moyen de nous nourrir. Nos pièces buccales se ramollissent et tombent, pourries, cariées. Je ne comprends pas pourquoi ! se désespéra Pou. — Tu es la chef ! Tu dois trouver une solution ! pesta Lou. Un truc est à l'œuvre, quelque part, qui dérègle tout ! C'est quoi... idiote ? — Me râler dessus ne nous aidera pas à trouver une nouvelle voie. Connectons nos sens veux-tu ? — Je n'aime pas beaucoup te voir trifouiller dans mes pensées anoploures ! J'y vois comme une forme de curiosité malsaine... — Car tu crois que j'aime ça moi ? Je déteste sentir tes phantasmes ambigus se glisser en moi ! Et pourtant, c'est en nous réunissant que nous trouvons toujours une porte de sortie à nos problèmes ! Souviens-toi du nombre de fois où nous avons échappé aux shampoings, aux monstres doigts, aux huiles asphyxiantes... — Qu'est ce que tu racontes ? coupa Lou qui n'avait aucune mémoire et une forme minimale de pensée. — Bon, laisse-moi faire ! décréta Pou.
Les deux phthiraptères s'effleurèrent les antennes et le temps de quelques instant, ne firent plus qu'un. Toutes les questions qu'ils allaient se poser à cet instant-là trouveraient une réponse. Enfin... c'est ce que disait le manuel à l'usage des insectes vampires, le RUIZ, du nom d'un vieil hectoparasite savant de l'antiquité, dont on ne savait rien, sinon qu'il écrivait pour contrer l'ennui, la solitude et la peur de l'éternité. Soudain, un ridicule jet de matière luminescente fut évacué de l'abdomen de Pou. C'était une idée qu'il allait falloir décoder.
— Qu'est-ce donc ? se demanda Pou. — Comment ? Tu ne le sais pas ? s'inquiéta Lou. — Eh bien, c'est à dire que je n'ai pas eu le temps de nous poser LA question... Tu pensais à quelque chose toi ? — Euh... c'est à dire que... je me disais juste qu'on était un peu dans... dans la... enfin... tu vois de quoi je veux parler ? — Bon, je vois : ce n'était pas un Ruiz-idée ! On n'a plus qu'à recommencer ! s'énerva Pou.
Mais il n'en eurent pas le temps. Il furent consumés en une fraction de seconde, consommés, absorbés comme le jardin et la maison avec Amandine et sa mère qui se croyait blonde alors qu'elle se teignait les cheveux.
Le quartier de la ville, la cité toute entière dans ce beau recoin ensoleillé de la France bedonnante, de l'Europe et de ses règles obscures, de ce monde empêtré d'incertitudes, tout, absolument tout se recroquevilla en une incroyable implosion, sans le moindre bruit, dans un silence ouaté, sans souffle. Le système solaire ensuite fut englouti ainsi que la Voie Lactée, puis ce fut au tour des galaxies environnantes, des amas galactiques et de l'univers dans son immensité. En un rien de ce qui se nommait Temps, le vide avait fait son œuvre. La bulle avait disparut. Le grand et le petit ne faisait plus qu'un. Le Tout n’était plus Rien. Pou, Lou, les petites bêtes et les grosses, la matière et l'antimatière avait rejoint leur état originel, quantique, à l'intérieur de la dernière pensée qu'un être virtuel s’était fait de tout ce rien qui avait été immense : une petite et bête idée qu'il avait concrétisé simplement, pour vaincre sa solitude et sa peur de l'éternité.
Dieu venait de mourir d’une rupture d’anévrisme.
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| | | Auzelles
Messages : 4794 Date de naissance : 16/10/1949 Date d'inscription : 25/10/2017 Localisation : Entre Crau et Camargue
| Sujet: Re: L'historiette du jour... Dim 14 Jan - 6:48 | |
| L'historiette du jour : Chou farci de ChristopheCadavres sur papier glacé. Les hommes sont des nécrophiles ! Oreilles de satin, gants de fourrure, bas de soie, vous ressemblez au lapin dont on a arraché la fourrure. Les mâles se pourlèchent en vous contemplant, mais leurs doigts glissent sur les pages cent fois triturées. Pour apaiser leur faim, ils se rabattent sur les plats préparés par leurs femmes, de vraies femmes à la peau douce et tiède, qu'ils ne regardent plus. J'achète les lapins entiers. C'est meilleur marché et la viande garde son goût de gibier. Couteau effilé. J'enfonce la lame au bas du ventre et remonte d'un coup sec jusqu'au sternum. L'entaille vomit les entrailles de la bête. Je les réserve dans un tupperware. Les organes relèvent délicieusement les farces. Tous les soirs, je prépare un des plats que mon homme affectionne. Je connais ses goût sur le bout de ses doigts, dont il suce jusqu'à la dernière goutte de sauce. - Lire la suite de l'historiette:
C'est un carnassier qui aime la viande fraîche. En dix ans, j'ai appris à la découper et la cuire pour qu'elle exprime au mieux sa saveur. J'aime la travailler, découvrir ses chemins cachés, ses résistances, sa texture. Je la respecte et ma lame suit toujours le chemin qu'elle m'indique. Après une nuit sans sommeil, comme tous les matins, je déjeune seule. Mon homme n'est pas rentré. Son sexe est toujours plus fort que son ventre et l'autre, la jeune, le rassasie encore. Mais cela ne durera pas. Un soir, il sonnera. Il n'aura pas eu le courage d'utiliser ses clés. Les hommes sont des lâches. Ils sont conquérants jusqu'à la première nuit, ensuite, ils rangent leur épée et vous offrent leur couronne. Le chevalier devient comptable du quotidien, pesant ce que vous lui apportez et ce que vous lui coûtez. Malheur à celle qui penche trop de ce côté de la balance ! J'ouvrirai la porte sans un mot. Lui attendra un instant, les yeux baissés, quémandant un pardon qui lui rendra l'appétit. Devant mon silence, il entrera dans l'appartement. Dans la salle à manger, il découvrira, sur un valet, une chemise blanche et un costume impeccablement repassés. Il jettera involontairement un regard sur sa propre manche froissée, mais le réprimera aussitôt. Puis, il s'immobilisera comme un comédien en manque d'inspiration. Comédien ! Je m’assiérai à table. Un faitout laissera s'échapper des vapeurs parfumées de lapin à la moutarde. Toujours sans un mot, je remplirai son assiette. Une louche. Deux louches. Nous mangerons. Seul le son étouffé de nos couverts troublera le silence de nos retrouvailles. Lui, contrôlera ses gestes afin de faire le moins de bruit possible, funambule à la limite de l'existence. Dans ses yeux, je verrai défiler la peur, la honte, la gourmandise et la culpabilité. Farandole cruelle des sentiments de l'homme nourri par la femme qu'il a trahie ! Puis, j'irai faire ma toilette. Il m'attendra dans le lit, vêtu du pyjama qu'il aura trouvé plié sur une chaise. Il n'osera pas se laver les dents. Cette activité ne se pratique qu'en couple ou entre amis et il ne saura pas dans quelle catégorie je l'ai rangé. À moins qu'il n'ait peur de voir une brosse à dents utilisée le narguer du verre à dents. Je m'allongerai à ses côtés et nous éteindrons simultanément nos lampes de chevet. Comme avant. Là, pour la première fois, il esquissera un geste masculin de tentative de réconciliation. Et là, pour la première fois, je parlerai : — Non ! Il exhalera ce soupir que je connais si bien, se retournera sur le flanc droit et s'endormira. J'attraperai alors le couteau sous le matelas et le planterai dans son foie offert. La mort sera rapide et sans douleur, laissant à la viande fermeté et tendresse. C'est comme ça que j'aime les hommes. Je réserverai les organes dans un tupperware pour relever une farce. Une semaine plus tard, la viande aura suffisamment mûri pour être préparée en bourguignon. J'inviterai Jacques, le meilleur ami de mon mari, à dîner. Jacques m'a soutenue quand celui-ci m'a quitté, mais j'ai vite compris que ce soutien était intéressé. Lorsque Jacques s'est déclaré, lorsqu'il a franchi la frontière sans retour où l'on se permet de désirer la femme de son meilleur ami, je lui ai promis de lui céder le jour où je serai persuadée que mon couple n'avait plus la moindre chance de se reconstituer. Je tiendrai ma promesse. Le soir dit, il sonnera chez moi. L'odeur du bourguignon rivalisera difficilement avec celle de l'énorme bouquet qu'il m'offrira. En conquérant, Jacques pénétrera l'appartement. Dans la salle à manger, il respirera, satisfait, l'odeur du plat chaud posé sur la table. Je me donnerai à lui sans attendre. Chez les hommes, le sexe passe avant l'estomac. Ensuite, nous passerons à table et je le regarderai déchiqueter les restes de mon passé. Celui-là, je vais m'en méfier. Un homme qui trahit un ami n'aura aucun scrupule à trahir une femme. Mais à voir ses mâchoires puissantes, ses lèvres couvertes de sauce et ses yeux perdus de plaisir, je sais qu'il suffira que je satisfasse son ventre pour qu'il me reste. Demain, je lui ferai du chou farci !
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| | | Auzelles
Messages : 4794 Date de naissance : 16/10/1949 Date d'inscription : 25/10/2017 Localisation : Entre Crau et Camargue
| Sujet: Re: L'historiette du jour... Lun 15 Jan - 5:55 | |
| L'historiette du jour : Le disciple et le brochet de Nectoux MarcMathias, disciple de saint Pierre avait une obsession. Attraper le grand brochet qui sévissait dans le lac de Nantua. Chaque jour, il se rendait sur les rives de celui-ci, dans la ferme intention de capturer le royal poisson. Mais ce dernier, d’une taille et d’une force phénoménales, cassait sans merci toutes les lignes que le bon disciple lui proposait. Au fur et à mesure que le calibre du fil de pêche s’épaississait, le moral de Mathias s’amincissait. Il allait même, sur les conseils d’un de ses proches, armer sa ligne d’un filin d’acier. Il va sans dire que celui-ci ne manqua pas de subir le même sort que celui de ses prédécesseurs. - Lire la suite de l'historiette:
Tout ceci eut pour conséquence de plonger le bon disciple dans un état dépressif grave. Mais au bout de quelque temps, la nature combative de celui-ci reprit le dessus. Le grand brochet croyait avoir gagné la partie ? Qu’à cela ne tienne ! Lui, Mathias, allait lui faire savoir à qui il avait à faire !
Les jours qui suivirent, le brave homme multiplia les tentatives, mais celles-ci restèrent vaines. Et, pourtant il était là ! Mathias devinait la gueule fuselée du monstre immergé au ras des flots, pointée dans sa direction. Il devinait de même le regard pointu et vert de ce dernier le fixer d’arrogance.
— Tu ne pourras m’échapper éternellement, brochet de malheur, un jour tu commettras une erreur fatale, et moi, ce jour-là, je serai là !
Un matin, alors qu’il avait mouillé sa ligne depuis un long moment déjà, un homme errant, violoneux de son état, vint à lui pour lui demander l’aumône d’un bout de pain. Mathias eut pitié de lui, et lui remit son panier-repas, ne gardant rien pour lui. Pour récompenser ce geste charitable, le violoneux joua de son instrument. Alors que Mathias se préparait à entendre les notes d’une exécrable musique, celle-ci se révéla divine et enchanteresse, tant et si bien qu’il demanda au vagabond de jouer encore et encore. Hélas, à la nième fois, sollicitée à l’extrême par l’archer, une corde cassa tout net. À la grande surprise de Mathias, le violoneux offrit à celui-ci cette corde en lui disant.
— Prends cette corde et fixe là au bas de ta ligne. Tu pourras enfin prendre le grand brochet que tu désires tant capturer.
Mathias le regarda avec étonnement. Comment ce misérable vagabond avait-il pu percer à jour ses intentions ? Pourtant, il ne répondit rien et monta son bas de ligne avec la corde cassée du violon. Après y avoir fixé un hameçon il replongea sa ligne dans le miroir vert du lac. Par politesse, il avait accepté ce présent insolite, mais il ne se faisait aucune illusion. Ce n’était pas ce bout de corde qui allait changer les choses, là où des filins de bons aciers avaient échoué.
Pourtant, il n’eut pas longtemps à attendre avant de voir sa ligne se tendre jusqu’à se rompre. L’attaque avait été fulgurante et Mathias n’eut que le temps d’empoigner sa canne, avant qu’elle ne soit emportée dans les profondeurs du lac. Un sourire imperceptible se profila sur les lèvres du violoneux qui s’éclipsa sans bruit.
Mathias lutta pendant des heures avec le grand brochet, car c’était bien à lui qu’il livrait bataille. Le bas de ligne, équipé de la corde de violon cassé, vrillait sous l’extrême tension, faisant entendre du même coup, la mélodie enchanteresse interprétée par le vagabond quelques heures auparavant. Au bout d’un long moment, Mathias eut l’impression que les assauts du monstre étaient moins vigoureux. Lui-même ressentit une sensation d’engourdissement. Il se laissa envahir peu à peu par un sentiment de bien-être et de paix.
Le bout de ligne ne cassa point.
Plus personne ne revit Mathias, le bon disciple de saint Pierre, pêcher sur les rives du lac de Nantua.
Mais plus jamais de même on entendit parler du grand brochet.
Pourtant, il se raconte dans le pays que les nuits d’orage au-dessus du lac, certains pêcheurs auraient affirmé par tous les saints du ciel, avoir vu dans les reflets d’éclairs, Mathias chevauchant le grand brochet sur la crête des flots.
Mais il se dit tellement de choses en ce bas monde !
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| | | Auzelles
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| Sujet: Re: L'historiette du jour... Mar 16 Jan - 6:34 | |
| L'historiette du jour : Le brouillard se dévoile de MichelColtard Le brouillard s'épaissit au lever du jour. Je vois des hommes fantômes surgir sur les trottoirs. Pour s'estomper aussitôt. Fugace apparition-disparition. J'en connais qui aiguisent leurs couteaux. Pour couper le brouillard. Une méthode qui a fait long feu. Face au brouillard, il faut s'armer de patience dit-on. Mais en pacifiste authentique je souhaite désarmer cette patience. - Lire la suite de l'historiette:
C'est ainsi que par temps de brouillard je me trouve totalement dans le coltard.
Couards
Un vrai brouillard est un brouillard qui mouille. Je ne le dirai jamais assez aux poltrons. Frileusement, ils se réfugient à la maison de peur d'être trempés. Une vraie bande de couards.
Dans le brouillard, je fonce. Les voitures me font les gros yeux et piquent un phare avant de s'effacer. De fines gouttelettes perlent dans mes cheveux. Comme une transpiration froide de rage contenue.
Pour revenir à sec, je n'ai qu'une solution. Brancher mon sèche-cheveux. Le mettre à fond. Il engendre un terrible mistral qui fait ondoyer ma forêt capillaire.
A cet instant le soleil perce le brouillard de ses rayons qui s'esclaffent
Marche
Comment faire pour marcher sur le brouillard ? Je vous livre ma recette en toute transparence.
Prenez une corde. Lancez-la de toutes vos forces vers le ciel. Si possible en diagonale. Si elle retombe au sol, rien de grave, la cible est manquée. Recommencez autant de fois que nécessaire. Elle finira bien par s'arrimer à un rocher. Avec un peu de chance un chocard s'en emparera et la tirera plus haut vers le sommet. Vous aurez préalablement pris soin de fixer l'autre extrémité près du sol en l'enroulant autour d'un arbre. La corde étant tendue, montez. Si vous atteignez l'extrémité de la corde fixée au rocher et que vous êtes toujours dans le brouillard, redescendez. Recommencez un peu plus tard.
C'est ma tactique. Elle n'est pas sûre. Parfois on n'émerge pas du brouillard. Parfois il se dissipe pendant que l'on monte. Mais il arrive que la corde nous mène juste au-dessus du brouillard. On s'arrête à ce moment. On met un pied sur le brouillard pour tester sa solidité. Puis l'autre pied. Quel plaisir et bien-être on ressent à ce moment.
La marche douillette sur le brouillard vaut toutes les thérapies du monde.
Illusions
Est-ce le brouillard qui serpente avec la rivière ? Ou la rivière qui déroule son ruban avec lui ? En cette aube fraîche d'un été qui n'ose déjà dire son nom ils font cause commune dans le vallon des apparences.
La rivière coule sa flemme et elle a toute la vie devant elle. Le brouillard sait que ses heures sont comptées. La gouttelette de brouillard s'évaporera sur place. La goutte d'eau de la rivière est promise à un tout autre destin. Celui du fleuve puis de la mer. Elle s'évanouira en pleurs dans la masse d'eau salée en perdant sa virginité. A la source c'est sûr, le brouillard reviendra la narguer un jour avec une éphémère victoire sucrée.
Mais en un destin commun salé-sucré tous deux se noieront dans la mer des illusions.
Frères ennemis
La brume est un ersatz de brouillard. Un usurpateur. Au sol, elle n'a pas la force de cacher les choses. En faux-jeton, elle laisse juste planer le doute à l'horizon poisseux. Lorsqu'elle décide de prendre ses quartiers un peu plus en hauteur, elle s'amuse à cacher le ciel et désire se confondre avec les nuages. Mais tandis que ceux-ci défilent en ordre aléatoire la brume reste uniformément visqueuse. Un gris visqueux.
Je n'aime pas la brume. Le brouillard est franc du collier. Il ne se cache pas et dit les choses. J'ose à peine croire qu'à la source tous deux ont été fécondés par la même goutte d'eau.
Comme des frères ennemis.
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| | | Auzelles
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| Sujet: Re: L'historiette du jour... Mer 17 Jan - 6:02 | |
| L'historiette du jour : Message d'un cœur ordinaire de Isabelle LambinTu as pris mon cœur et j’ai saisi le tien. Nous sommes quittes, quitte à ne plus nous quitter, à nous aimer chaque jour de l’année, week-end et jours fériés compris, même si l'on n’a peut-être pas tout compris. Mais qu’y a-t-il à comprendre, dans le fond ? Toujours est-il qu’en surface stagnent quelques radieuses pulsations d’âme. Et aujourd’hui, c’est dit, nous sommes prêts à emballer nos vies dans du papier de soie ou quelques feuilles de journaux, même de simples feuilles de chou. Oui, les choux nous iront bien, tout comme les roses et leurs tendres épines. Après tout, l’amour n’a pas besoin du plus beau des ouvrages pour s’écrire. Il raconte quoi ton ciel ? Parce que le mien me dit que tu te caches encore dans le renflement des nuages ou dans le pli des pâquerettes. - Lire la suite de l'historiette:
On a tout mis en boîte, à commencer par nous et ça nous a bien fait rire. Nos petites vies ont suivi avec application. Petites vies de breloques, de tasses, de livres et de musique. On a tout ravalé aussi, nos couplets comme nos refrains. Et nos cartons s’entassent dans une joyeuse cacophonie.
Tu as tiré le rideau sur tes murs et j’ai gommé les miens. D’autres repères, d’autres horizons viendront. On a tout empilé dans le camion, tes meubles, les miens, nos trois francs six sous et nos lendemains à bâtir. Une époque qui meurt afin qu’une autre naisse. C’est bien aussi et ça nous montre encore que les fins peuvent être jolies. Et puis en bout de route, dans un premier sursaut, au revers d’une ombre, le bercail d’une vie verra naître bientôt des lumières inédites auxquelles se suspendront les couleurs de nos bras réunis.
On est arrivés au soir. Dans cette fin de journée, notre vie à deux peut commencer. On devine déjà dans chaque recoin et jusqu’aux plafonds, les vestiges des rêves qu’ensemble nous ferons. Les murs ont des oreilles. Écoute-les sourire à l’approche d’un geste ou d’un silence choisi. Le papier peint gondole. Vois, c’est notre Venise qui vient s’attabler dans ses habits de fête. Et dans tes yeux, coule déjà chacun de ses canaux.
Tous nos petits jours, tu verras, grandiront dans l’engrais de nos cœurs. Sur d’autres perspectives, l’inclinaison de nos pas esquissera nos plus beaux paysages, de ceux, si mélodieux, qu’ils berceront nos rêves et nos folles chimères puisque, au fond, le sais-tu, mon plus beau paysage, c’est toi.
On accrochera partout des guirlandes de rire et des lampions de lune à en faire pâlir le jour. Et le jour, oui le jour, ne verra plus naître la nuit. Trop de lumière éclaboussera nos murs.
Ce sera beau, plus beau que tout ce que tu connais. Qu’est-ce qu’on perd à se couvrir de belles promesses ? Qu’est-ce qu’on gagne à vouloir espérer ?
On se jouera des airs sur nos cordes sensibles. Les fausses notes seront comme ces petits grains de sable qui crissent sous la dent. Les erreurs, les bavures ont cette saveur de sel et de plage endormie. Si trop d’averses grisaillent nos mines, nous tanguerons comme tangue la vie. On aura, s’il le faut, la rage au ventre et les bras pour écoper jusqu’à ce que revienne l’éclaircie sur nos fronts.
Sur les ailes du temps, sous les copeaux d’ici, dans les vagues de tous nos présents s’étalent nos images légères. C’est simple le bonheur, tu vois, c’est si simple.
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| | | Auzelles
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| Sujet: Re: L'historiette du jour... Jeu 18 Jan - 6:52 | |
| L'historiette du jour : Brouillard de BerndtdasbrotDepuis la nuit des temps, c’était ainsi. Bien avant même l’existence des clones et de Google. Un rite incontournable pour chaque homme. Un passage. Pas d’âge défini pour s’y mesurer ; juste être prêt. Prêt à affronter le brouillard moite et épais qui pénètre l’abîme de votre cortex. Rejoindre l’autre versant où attendrait, peut-être, un soleil qui perce de ses rayons le lac équanime. Certains n’osaient l’affronter et se terraient dans les galeries souterraines, où la lumière ne peut vous mutiler. Derrière des fenêtres où défilaient des vies et des envies. Les vies d’avant, celles des autres, des chimères, des mensonges et des ténèbres. Ils pouvaient toucher du bout des doigts ces écrans magnétiques et impénétrables. Toucher du bout des doigts leurs rêves et les vivre par mimétisme. - Lire la suite de l'historiette:
Le froid paralysait ses mains et brûlait ses oreilles. Bernie n’osait plus ouvrir sa bouche pour respirer, le givre pénétrait au plus profond de sa gorge et gelait ses amygdales. Ses jambes continuaient d’avancer, mécaniquement. Bernie ne comprenait même pas quel moteur avait pu l’entraîner ici, dehors, à courir en plein hiver. Des peupliers squelettiques tremblaient de froid et retenaient d’un fil leurs branches de verre. Un chien galeux le suivit sur quelques mètres, avec l’espoir que cette silhouette instable daigne le regarder, et pourquoi pas le caresser. Bernie ne le vit pas. Depuis longtemps, ses yeux étaient clos. Depuis cinq ans, peut-être. Les pilules amères et colorées, et ce sentiment, comme une seconde peau, d’être un intrus dans sa propre enveloppe charnelle. Personne dans ce chemin désert, et c’est mieux ainsi, pensa Bernie. Juste une voix, qui sifflait dans le vent et lui soufflait d’avancer. S’arrêter ici serait mourir. Le froid, la tristesse et la peur. Plus Bernie courrait, plus la brume se dissipait. Des signes de vie, des signes de mort. Un vent frais fouettait sa face. Trois sensations caressaient la peau de Bernie. Le rire de Lo qui renverse les ombres et cicatrise les blessures. Les siennes et celles des autres. Le visage picoré par les taches de rousseur. La douceur, la caresse de Tina. Son souffle chaud et rassurant qui véhicule l’altruisme. La tendresse pour effacer les blessures. Les siennes et celles des autres. Les allégories de Marie. Elfe aux yeux de velours qui diffuse dans les esprits des légendes et des mythes pour masquer les blessures. Les siennes et celles des autres. Bernie accéléra. La sueur perlait sur son front, gouttait sur ses paupières, glissait dans ses pupilles et l’aveuglait. Un coquelicot fendait d’un rouge écarlate la grisaille ambiante. Bernie se méfia. Comment la vie pourrait-elle réapparaître aussi simplement ? Il savait que ce ne pourrait pas être aussi simple. Sinon il l’aurait su avant. C’est ridicule. Face à face dans leurs fauteuils, elle lui avait dit simplement : — J’ai vu dans la noirceur des prisons, les hommes m’avouer leurs monstruosités. J’ai senti la honte et la douleur, le crime et le fiel. Elle avait ouvert un petit carnet, un carnet d’écolier. — Alors je vous écoute. Qui êtes-vous ? Et il avait pensé qu’il ne pourrait pas répondre à cette question. Les primevères de son père habillaient les talus. Sans les toucher, il se rappela le velours de leurs parures. En allié, un soleil timide tentait de percer la brume. Bernie ralentit sa course et leva le visage vers le ciel pour sentir la chaleur du rayon solaire. Son corps était chaud à présent et il ne parvenait déjà plus à ressentir le froid qui l’avait habité. Dans les champs, les tournesols pivotaient à son passage pour suivre sa course folle. Des papillons bigarrés claquaient des ailes pour imprimer un rythme et s’évanouissaient en feu d’artifice. Artifices. Ceux du monde qui le cernait. Artifice des mots, des gestes. Artifices qu’il tentait de fuir, et pour ce faire : traverser le brouillard. Un virage sec, un tapis de feuilles moelleux et orangé. Ses pas ne résonnaient plus dans sa tête en martelant le sol. Une certaine légèreté l’habitait à présent. Des champignons, polis et distingués, soulevèrent leurs chapeaux en guise de salut et d’encouragement. Plus sensuelles, les châtaignes entrouvrirent leurs bogues pour laisser apercevoir leur fruit. Les araignées recouvraient de barbapapa haies et talus. Et le rire de Lo, et le souffle de Tina, et les mots de Marie. Quelques cotons de flocon s’évadèrent des nues. Le brouillard cédait déjà. Ce n’était que ça ? Pourquoi avoir tant attendu ? Pourquoi n’avoir pas osé ouvrir les yeux ? Pourquoi s’être tant de fois heurté au mur ? Pourquoi avoir cherché la fuite dans les mensonges ? Mensonge. Les siens, moteur et gouvernail. Mensonge du monde, dans les mots, les mains serrées et dans chaque geste. Traverser le brouillard pour abandonner ces mensonges derrière lui. Une longue descente comme un tapis roulant. Bernie se laissa glisser. Plus besoin de mouvoir ses jambes. Le tapis l’emportait. Il avait à peine souffert, quelques bosses pour le retarder, une certaine attraction pour l’entraîner à faire demi-tour, les écrans lustrés pour le rappeler, comme un aimant. Des fleurs aux odeurs de guimauve, des écureuils aux yeux noisette. La tendresse d’un conte. Sentir l’odeur de la légèreté. Légèreté. Un trésor enfoui. Une richesse interdite dans les postures hiératiques exigées et incontournables. Et le rire de Lo, et le souffle de Tina et les mots de Marie. Il ferma les yeux. Se demanda si la ligne d’arrivée serait matérialisée. Un drapeau à damier ? Faudra-t-il continuer à courir ? Un spectre vert se dessina dans le ciel, se lova dans le ciel noir. Un feu follet violet l’enlaça et dansa dans ses bras. Des fantômes qui glissaient et envoûtaient la voûte. Il s’arrêta, essoufflé, les mains sur les genoux. Des aurores boréales, des fées au zénith. Les voix, le souffle et le rire. Il respira profondément. C’est là.
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| Sujet: Re: L'historiette du jour... Ven 19 Jan - 6:51 | |
| L'historiette du jour : L’heure H de Eddy RiffardSilencieux et concentrés, tous les sens aux aguets, rien ne permettait de détecter la présence des deux hommes embusqués de part et d’autre de l’entrée. Ils gardaient les yeux fixés sur la porte de la cabane perdue au milieu des bois. Seul le tic-tac de l’horloge tentait de casser le silence sépulcral qui baignait la place. D’ici peu, le propriétaire des lieux allait réintégrer son domicile. Ils connaissaient par cœur ses moindres faits et gestes depuis des semaines qu’ils l’observaient. Ils effectuaient toujours le même travail avant de passer à l’action. Collecter du renseignement, filer leur victime, noter ses habitudes, suivre ses allées et venues puis, fort de ces renseignements, établir un plan et le mettre en application. - Lire la suite de l'historiette:
Ce contrat s’était révélé facile à honorer jusqu’à présent. La cible désignée n’était qu’un homme à la santé déclinante. C’était à se demander ce qui motivait le commanditaire. En effet, le vieux solitaire avait subi une lourde opération à cœur ouvert l’année précédente. D’après son dossier, il était évident qu’il n’allait pas durer très longtemps.
Et maintenant...
Dans quelques minutes, il allait rentrer, tourner la poignée de la porte puis sa silhouette s’encadrerait dans l’entrée. Les deux automatiques enverraient alors leurs projectiles, les multiples détonations étouffées par les silencieux. Les dispositifs utilisés par les exécuteurs permettaient d’effectuer des tirs avec un bruit inférieur à celui d’une six millimètres bosquette en milieu clos. Autrement dit, aucune chance que l’opération attire l’attention de quelque curieux, spécialement ici, dans cette forêt perdue de l’Ohio.
Dans ce silence troublé par le seul décompte mécanique des secondes, les deux tueurs à gages songeaient à la singularité de cet homme. Tout en lui était minuté à la perfection. Une vie réglée comme du papier à musique comme l’avait précisé leur commanditaire au téléphone. Et, de fait, le particulier ne se permettait jamais la moindre fantaisie. Chose curieuse, son mauvais état général n’affectait aucunement son maintien tandis que son visage volontaire restait éclairé par un regard où se lisait une détermination intacte. Autrefois, au temps de sa jeunesse, il s’était révélé un redoutable adversaire pour ses ennemis lorsqu’il combattait le Viêt Công au sein du 4th régiment de marines, comme l’avait appris Candela de son commanditaire. Les marines... Jadis, Candela avait voulu intégrer ce corps d’élite au point de tenter sa chance à Parris Island. Après les tests d’usage et l’entraînement de base, il était retourné chez lui pour inaptitude. Finalement, il s’était livré à quelques mauvais coups avant de tâter un peu de prison où il avait rencontré Martino. Libérés à quelques semaines d’intervalles, les deux comparses avaient mis à profit leurs contacts avec le milieu pour se charger de sales besognes, jusqu’à devenir tueurs à gages.
En songeant à ce type qu’ils allaient descendre, Candela éprouvait une crainte diffuse. Les gars de ce genre pouvaient détecter le danger, littéralement sentir les pièges. D’ailleurs, il lui avait semblé que leur bonhomme avait adopté une attitude équivoque en certaines occasions, comme s’il avait conscience de faire l’objet d’une surveillance. Ce n’était guère rassurant de penser à ça, dans ces lieux baignés dans la pénombre, avec pour seule distraction le bruit obsédant de cette horloge.
Candela se risqua à briser le silence et murmura la question qui le taraudait :
— Eh, qu’est-ce qu’il faisait déjà au Viêt Nam, ce type ? — Je crois bien qu’il était dans le génie. — Le génie... oui, spécialiste du déminage si je me souviens bien...
Candela eut une fulgurance au moment où l’horloge cessa son tic-tac. Au lieu de sonner les sept coups attendus, le mécanisme fit exploser deux kilos de semtex dans un tonnerre d’apocalypse.
Monsieur Walter devrait engager d’autres tueurs. L’ancien marine avait quant à lui rejoint une retraite toute aussi paisible et connue de lui seul. La maladie viendrait le délivrer de ses tourments avant que son ex-associé retrouve sa trace.
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| Sujet: Re: L'historiette du jour... Sam 20 Jan - 7:44 | |
| L'historiette du jour : Danse avec les stars de Sylvie LoyIl y a beaucoup de bruit dans la salle. Les enfants qui sautent sur le plancher. Les bavardages des parents. Sans compter le brouhaha de la rue qui remonte par la fenêtre ouverte. Il n'y a pas de meubles qui absorberaient les nuisances sonores : c'est une salle de cours de danse. Avec seulement des miroirs et des barres. C'est la première séance. Le jour des inscriptions aussi. - Lire la suite de l'historiette:
Les petites filles s'entraînent à la barre. Les petits garçons trébuchent en tournant sur eux-mêmes comme des soleils fous. Les parents s'éparpillent. Afin de maintenir un semblant d'ordre, le professeur de danse frappe dans ses mains sur la pointe de ses chaussons. Les parents sont invités à faire cercle autour d'elle. Elle va expliquer le déroulement de l'année de danse. Les parents, disciplinés, s'exécutent. Du groupe d'adultes s'échappe une jeune fille d'une quinzaine d'années. Elle rejoint les enfants qui dansent en jouant. Se balançant d'arrière en avant, les yeux levés vers le plafond, elle se tient d'abord à l'écart des autres. Lorsque les enfants la regardent, elle s'arrête. Puis, comme par timidité, elle met ses mains sur son visage et sourit en cachette. Les enfants l'invitent à les rejoindre. Surprise et effrayée, elle se fige soudain comme une statue. Puis, elle se met à sautiller à pieds joints et grimace un sourire maladroit la lèvre inférieure flirtant avec ses narines. Par le jeu du mimétisme auquel seuls les enfants adhèrent naturellement, toute la troupe des apprentis danseurs entament un ballet improvisé supervisé par cette jeune fille. Elle se met à décrire des cercles sur le plancher en marchant, en courant, en s'accroupissant et en traînant les pieds. Elle agite les mains en même temps sans cohérence. On dirait qu'elle danse avec son corps et chante avec ses mains. Et sa chorégraphie est soigneusement reprise par tous les enfants. — Mais qu'est-ce qu'elle fait ? s'insurge le professeur de danse en fendant le groupe des parents et en se dirigeant vers la jeune fille. La jeune fille en question s'immobilise soudain au milieu de la salle. Les enfants avec. Elle glousse doucement. Elle rit fort les mains en coquilles devant la bouche. Elle rit dans ses mains. Et tout à coup lance ses éclats de rire en l'air comme si c'étaient des confettis. — Mais qu'est-ce qu'elle fabrique ? reprend le professeur hors d'elle. Comme quelqu'un las d'expliquer les choses, un petit garçon s'approche alors, saisit la main de la jeune fille et d'une voix un peu forte répond : — Rien Madame. C'est ma sœur. Elle est autiste.
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| | | Auzelles
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| Sujet: Re: L'historiette du jour... Dim 21 Jan - 5:20 | |
| L'historiette du jour : La cerise sur le gâteau de Carmilla No Last NameElle s’était rendue au repas l’estomac noué. Ça avait commencé quand elle avait reçu l’invitation, le petit carré de carton bleu qu’elle avait posé sur le micro-ondes. « Vous êtes invité(e) au départ à la retraite de Maryse Gescard ». Ce soir-là, elle n’avait mangé qu’une salade et une mandarine. Puis, au fur et à mesure que le grand jour approchait, il lui était devenu de plus en plus difficile de manger. Des images lui revenaient en tête : eux à vingt-cinq ans à peine, quand ils étaient de garde à l’hôpital, dans la salle de repos, à boire des litres de café. Les blagues de Philippe, les histoires d’amour foireuses de Maryse et le sourire de Bruno. - Lire la suite de l'historiette:
Elle qui ne mettait jamais de robe avait acheté une belle robe de cocktail, une folie, assez courte – ne disait-on pas autrefois qu’elle avait les plus jolies jambes du service ? –, en satin gris clair. Sa fille de trente ans, lorsqu’elle lui montrerait les photos de la soirée, plus tard, dirait, dans un rire : « C’est quoi cette robe de mémé ? » Elle dirait aussi, voyant les anciens collègues de sa mère : « Oh, elle qui était si belle, je m’en souviens, comme elle a vieilli ! » En arrivant à la salle des fêtes, elle les retrouve, tous. Certains d’entre eux, elle continue à les croiser tous les jours à l’hôpital. D’autres, en quarante ans, ont changé de ville, de métier. Ils sont revenus pour l’occasion. À table, elle est placée à côté de Marie Carbonel, elles ont fait l’école d’infirmière ensemble. Ses cheveux bruns ont blanchi mais elle n’a presque pas changé. Le même sourire, les mêmes yeux rieurs. Elle cherche Bruno des yeux. Elle espère qu’il a pu venir. Bruno, c’était le marginal de la bande. Toujours avec un livre sous le bras. Au lieu de dormir un peu, lorsqu’ils étaient de garde la nuit, il lisait. Elle se souvient de son regard, vif, de ses moustaches brunes. À trente ans, il a tout plaqué pour devenir prof. Ils s’entendaient bien, tous les deux. Elle se demande pourquoi ils n’ont jamais... Elle espère qu’il est là, ce soir. On commence à manger. Elle n’a pas faim. Elle regarde défiler le foie gras, la viande en sauce, les fromages. Elle scrute les tables. On échange les anecdotes de l’époque. Les prunes de monsieur Duverger. « Vous vous rappelez, les prunes de monsieur Duverger ? » Tout le monde s’en souvient. On la raconte quand même, pour les conjoints, qui l’ont déjà entendue cent fois. « C’était un patient qui s’appelait monsieur Duverger. Un type d’une cinquantaine d’années. Il avait une commotion cérébrale. Il avait été placé dans un lit, aux urgences. On se relayait toutes les heures pour le surveiller. Tout à coup, il sort de son lit dans un état second et vient nous trouver dans la salle des infirmières. Il ne portait qu’une blouse en papier. Il ne dit rien, simplement il s’assoit sur le bureau devant nous et sa blouse remonte, dévoilant ses parties génitales. Philippe, qui passait, nous lance : « Et alors, qu’est-ce qui se passe ici ? Je viens de voir les prunes du verger ! Ce qu’on avait ri, avec Joëlle Garcia ! » Elle pense à Joëlle Garcia, décédée un an après avoir pris sa retraite. Elle pense à tous ceux qui sont morts, en quarante ans. Au bout de la table, il y a la veuve de Michel, l’ancien médecin interne. Au dessert, une forêt noire, quelqu’un fait passer de vieilles photos. Ce sont eux à vingt ans, dans des blouses blanches, on dirait des enfants jouant au docteur. Elle cherche Bruno sur les photos. Elle n’a pas touché à sa part de gâteau. Marie Carbonel se penche vers elle. « Au fait, tu as vu Bruno ? » Où ? Son cœur s’accélère. Elle redresse le buste. Marie désigne quelqu’un, en face d’elles. Mais où donc ? Il y a là un beau jeune homme brun d’une trentaine d’années, mais c’est le conjoint de la fille de Maryse. À côté, un vieil homme. Le cheveu blanc et rare. Le bas du visage triste, les joues tombantes. Où donc, Bruno ? « Ça fait longtemps. » C’est le vieil homme qui a parlé. Elle le regarde, hébétée. Il se lève, vient mettre sa chaise à côté de la sienne. Il lui parle comme s’ils se connaissaient bien. Elle est mal à l’aise. Elle a beau le regarder dans les yeux, elle ne retrouve rien de lui. Il parle d’une Anna, elle ne saisit pas de qui il s’agit. Sa femme ? Sa fille ? Au bout d’un moment, elle l’arrête. « Mais... Excusez-moi, monsieur. Je... Vous êtes... Vous êtes sûr que... que vous êtes Bruno Défond ? » Dans la voiture, en rentrant, elle se regarde dans le rétroviseur. Quand est-ce que ces rides autour des yeux sont apparues ? Elle ne les a pas vues arriver. Maintenant, elle aura beau mettre des tonnes de crèmes anti-rides hors de prix, c’est trop tard. Elle a mal au ventre. Pourquoi a-t-elle si mal au ventre ? De retour chez elle, elle se rend compte qu’elle a faim. Depuis quand n’a-t-elle pas mangé ? Elle se fait un plat de pâtes à la sauce tomate qu’elle dévore, seule, à la table de la cuisine.
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| | | Auzelles
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| Sujet: Re: L'historiette du jour... Lun 22 Jan - 5:29 | |
| L'historiette du jour : Corine de Félix labetoule« Il n’y a pas de honte à être heureux. » Noces à Tipasa, Albert Camus. Allongé sur la plage, le regard à fleur de sable, dans un océan de dunes, je trace une piste avec mon doigt et tu me parles de Corine. Mon esprit part en voyage et tu me dis que Corine est en pleine dépression. La piste après un détour revient vers ma serviette. Je trace un rond avec mon index, c’est l’oasis que ma piste va traverser, avec des palmiers et de l’ombre pour une halte bienfaisante. - Lire la suite de l'historiette:
Tu me dis alors que l’état de santé de Corine ne semble pas m’intéresser, qu’elle n’a pas de chance dans la vie et qu’en plus sa vie sentimentale est un échec. Dans mon oasis, je commande une menthe à l’eau bien fraîche, c’est un moment de plaisir avec le monde. Tu prétends ensuite que l’on ne peut pas laisser ton amie Corine dans cet état et qu’il faut faire quelque chose. Sous un ciel blanc de chaleur, mon index reprend sa route en longeant toute la longueur de ma serviette. Ivre d’espace, je cherche à cueillir des joies et tu me proposes d’inviter Corine jusqu’à la fin des vacances, ici, au bord de la mer, pour lui changer les idées. Tu me demandes de répondre et je te réponds qu’il faut voir. Tu me dis que je n’ai aucun cœur. Je m’arrête près d’une source, je bois de son eau et j’écrase entre mes doigts quelques plantes odorantes puis je reprends ma trace. Sur ma droite, j’aperçois un petit tertre, je m’arrête et je marche jusqu’à son sommet pour voir la lumière du soir commencer à revenir à la raison, mais aussi pour me nourrir de silence : le bonheur suprême. Tu prends ton téléphone et tu appelles Corine, je n’entends que des paroles lointaines et confuses et tu me demandes de lui dire quelques mots. — Bonjour Corine, bien sûr nous serons très heureux de te recevoir, cela te fera beaucoup de bien de venir ici, je viendrai te chercher à la gare. À bientôt Corine, bises. Je reprends ma route et lorsque je vois le grain de sel d’une première étoile, je trace un carré dans le sable, et j’entre dans la cour intérieure bordée d’arcades du restaurant d’une petite ville où m’attend un plat délicatement épicé, heureux de ce voyage de noces avec moi-même.
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| | | Auzelles
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| Sujet: Re: L'historiette du jour... Mar 23 Jan - 6:49 | |
| L'historiette du jour : Une si jolie petite île de UsusVoila quinze ans que Charles Poupeau se lève à sept heures cinq. Oui, il s’octroie cinq minutes de répit à la sonnerie du réveil. Il flâne un peu en se disant que demain il se lèvera à sept heures pétantes mais chaque matin il se laisse gagner par ce besoin de trainer un peu. Chez lui, nulle présence féminine pour partager l’espace plutôt réduit de son appartement. Il n’a jamais trouvé l’âme sœur avec qui prendre ses repas ou aussi regarder la télé. Bref avoir une compagnie car ses besoins sont simples. Il faut dire qu’il n’a jamais vraiment cherché. Cela demanderait un effort, aller dans les lieux fréquentés. Mais il craint un peu le monde et parfois quand il croise une femme, il lui arrive de baisser les yeux avec un rien de timidité. - Lire la suite de l'histriette:
Il s’est forgé une image de la femme idéalisée. Mais en son for intérieur il se doute que toutes ces belles créatures qui vantent les merveilleux produits de la publicité, ces présentatrices de météo si troublantes, ne sont là que pour le rêve. Il a passé le cap de la trentaine, de la quarantaine en se laissant flotter dans des habitudes de confort simple. Et, la cinquantaine approchant, il se dit que finalement il est un peu tard pour changer sa vie. Mais ne croyez pas que Charles vive en autarcie. Il apprécie pleinement la compagnie de ses collègues de bureau. Bruce avec qui il plaisante facilement et Melle Fanny qu’il trouve encore très bien pour son âge. Charles a deux passions qui lui prennent la totalité de ses heures de loisir. Il a restauré une Porche des années soixante dix. Il lui a fallu cinq ans de travail pour un résultat parfait. Sa deuxième passion c’est la pêche à la ligne. Non comme ces bêtes de concours équipées de matériel hyper sophistiqué mais juste le simple plaisir de tremper son fil avec une canne en bambou, héritage de son aïeul et réfléchir sur la psychologie du poisson de rivière. Il attendait ce dimanche matin depuis le début de la semaine. La veille au soir, tout était prêt pour une superbe journée de nature ensoleillée. Les champs sont verdoyants et ondulent sous la caresse du vent. L’air sent bon et le chemin de la rivière est encore désert au petit matin. Il rejoint le promontoire près de la vielle cabane et installe son matériel dans la barque. Les libellules ont commencé leur ballet à la surface d’une eau calme, entre les nénuphars. La rivière musarde suivant les sinuosités. Charles la connait depuis si longtemps. Il sait qu’il lui faut remonter le courant sur plusieurs virages pour quitter la zone urbaine et se rapprocher des herbages, là où se tiennent gardons et perches. Il éprouve un vrai plaisir à tirer sur les avirons. Ce geste devient instinctif et sa répétition parfaite le laisse dans un état de sérénité. Quand il revient à la réalité, il s’aperçoit qu’il a dépassé le lieu des herbages. L’ambiance est si douce qu’il décide de poursuivre encore jusqu'au prochain méandre. Sur la berge, un héron, caché dans les joncs, décolle vers le large. Lentement, la rivière découvre sa majesté. Au centre de son lit, au loin, apparait une petite île. Charles, surpris, ne se souvient pas avoir jamais vu d’île de ce côté. Il arrête sa progression et observe. C’est bien une bande de terre oblongue en partie couverte d’arbres, rendant le paysage bucolique. L’îlot donne à l’ensemble une impression de complémentarité. La grande palette des verts se mariant avec une eau reflétant l’azur du ciel sous les rayons encore obliques d’un soleil éblouissant de bonne lumière. Charles se surprend à contempler cette image si achevée dans son harmonie. Cette île est parfaitement à sa place et, s’il ne l’avait jamais vu avant, c’est qu’il n’avait pas regardé la rivière avec assez de sagesse voila ! A présent il lui tarde d’aborder. La barque vient s’échouer sur une bande herbeuse à quelques mètres des premiers arbres. L’air est saturé des senteurs végétales chauffées et exhalées. Les insectes donnent le plus beau des concerts sylvestre. Charles progresse tout au plaisir que lui offre cette nature en pleine explosion de vie. Il a envie d’explorer ce petit coin de paradis. Le sentier serpente entre les fûts et les buissons fleuris. Des papillons, dans leur vol saccadé, traversent les raies de lumière filtrées par les hautes branches. Charles, en passant le troisième lacet du petit chemin, se doute qu’il va déjà atteindre la rive opposée de l’île. Mais, passé ce virage, le chemin se prolonge, pénétrant plus profond au cœur de la forêt. Charles a du mal estimé la largeur de l’île. Peut-être tourne-t-il en rond sans s’en apercevoir. Mais il se sent si bien, si à sa place sur ce chemin embaumé des fragrances forestières qu’il décide de poursuivre l’aventure. Lacets après lacets, il découvre la vraie dimension de cette bande de terre cernée par les eaux. Il marche depuis combien de temps ? Il ne sait pas. Les passages droits succèdent aux virages inlassablement, offrant le spectacle des sous-bois semblables mais toujours différents. Ce chemin ne paraît pas avoir de fin. Le brouhaha si naturel du petit peuple des insectes c’est dissout remplacé par un silence presque pesant, comme s’il avait franchi une frontière invisible. Bon sang cela va forcément déboucher quelque part ! D’autant plus que le paysage, petit à petit change. L’air devient plus froid et les arbustes, différents, ont perdu leur jolie couleur verte. Ce sont désormais de gros épineux, débordant sur le chemin. Le ciel devient grisaille et la jolie lumière de cette matinée se ternie. Charles a du mal à se frayer un passage. Le chemin devient accidenté, parsemé de racines affleurant le sol comme autant de pièges à la marche. De grosses branches mortes encore accrochées à d’anciens troncs lui frôlent le visage, tels des doigts griffus. Faut-il poursuivre l’exploration ou retourner à la barque ? Charles hésite longuement mais décide de continuer. Ce serait trop bête de ne pas terminer une aventure qui a le mérite de pimenter son quotidien si banal. Il a pris sa décision. Il ira jusqu’au bout. Alors la marche devient pénible et le sentier rétrécit pour finir par se refermer complètement. Charles aperçoit enfin une éclaircie. Une sorte de clairière. Il arrive à s’extraire de l’imbroglio végétal. L’atmosphère devient lourde instantanément, comme annonçant une mauvaise pluie. Au centre de l’espace libre il remarque un monticule de terre. Il approche. Il découvre une tombe. Ce n’est pas possible ! Ce ne peut pas être possible ! C’est un cauchemar ! Sur la plaque tombale son propre nom apparait. Alors, la forêt, la clairière, la tombe, tout se dissout dans une nébuleuse grise. Puis c’est une lumière blanche, éblouissante, du fond de la brume qui le cerne et le guide. Le lundi matin au bureau, sans nouvelle de Charles Poupeau, Bruce décide de rendre visite à son ami et découvre son corps sans vie, allongé sur le lit, un sourire sur les lèvres, le visage apaisé.
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| | | Auzelles
Messages : 4794 Date de naissance : 16/10/1949 Date d'inscription : 25/10/2017 Localisation : Entre Crau et Camargue
| Sujet: Re: L'historiette du jour... Mer 24 Jan - 8:31 | |
| L'historiette du jour : Fragments d'été de Jack AlandaAilleurs, An Troisième de l’Etat d’urgence. L’année n’en finissait pas de moisir. Je nourrissais assez de pessimisme pour guetter l’aube chaque nuit, convaincu que le soleil lui-même finirait par démissionner. Pourtant, jamais il ne cessa de surgir au petit matin. Un toubib, au terme d’une consultation aussi courte que le temps nécessaire pour empocher ses vingt-cinq balles, avait rendu son verdict tel un procureur : insomnie. Un diagnostic assorti de deux semaines fermes de pilules. A la pharmacie, j’avais ramassé tout le poison prescrit, sans aucune intention de l’absorber. Simplement, ça ne pesait pas lourd et c’était toujours une bonne monnaie d’échange sur la route. - Lire la suite de l'historiette:
Je rentrais chez moi, consumé par un désir d’action à la frontière de la pathologie. La condition urbaine commençait à me taper sur les nerfs. Il me fallait au moins un océan entre mon enveloppe charnelle et cette année de merde. Je décidais d’honorer l’invitation d’un navigateur au long cours, dont le voilier mouillait quelque part dans le golfe du Bengale. C’est qu’on n’a jamais assez d’Orient dans sa vie...
***
Ma fille avait la mine défaite de ceux qui viennent de parcourir quinze mille bornes en deux jours, un train, un métro, deux avions et un taxi. A peine rassasiés de boulettes de riz aux légumes, trop épuisés pour savoir qui nous étions et incapables de prendre la moindre décision, nous marchions dans toutes les directions, hagards, à la recherche de la mer. Au large, un bateau nous attendait. Un coup de fil. Un café épicé. Une heure plus tard, les coudes baignant dans d’immenses flaques de sueur et les yeux baignés de lumières, nous vîmes débarquer le capitaine. Sa minuscule annexe peinait à supporter le poids de notre barda, mais nous emportions avec nous une quantité de vivres suffisante pour nous affranchir de l’humanité un moment.
***
J’avais passé vingt bonnes années à vouloir changer le monde, ce dernier s’y refusant obstinément. Sous les tropiques, à bord d’un voilier, je me moquais bien de connaître les derniers soubresauts d’une planète à la dérive. Dans la chaleur de l’été, mon indignation pouvait entrer en hibernation. Seule subsistait ma capacité d’engloutir des pages et des pages, dont ce bon vieux compagnon de vadrouille, Henry Miller : « Il n’y a pas plus grande, plus extraordinaire bénédiction que l’absence de journaux, l’absence de nouvelles sur ce que peuvent inventer les humains aux quatre coins du monde pour rendre la vie vivable ou invivable. Si seulement on pouvait éliminer la presse – quel grand pas en avant nous ferions, j’en suis sûr ! La presse engendre le mensonge, la haine, la cupidité, l’envie, la suspicion, la peur, la malice. Qu’avons-nous à faire de la vérité, telle que nous la servent les quotidiens ? Ce qu’il nous faut, c’est la paix, la solitude, le loisir. »
Sur le pont, ma fille entamait une danse de la pluie à la proue du navire. Aussitôt, avec la ponctualité d’un horloger suisse, la mousson nous rendait le salut avec force. Hilare, elle déclarait : « Tu sais quoi, Pa’ ? Ce qu’il faudrait, c’est le même paysage avec le climat de chez nous... » Qu’avais-je besoin de savoir si l’on se massacrait avec la même ferveur un peu partout sur Terre ?
***
Dès l’aube, le capitaine avait repris la mer, et c’est au large d’un îlot paradisiaque que nous nous réveillâmes. Mais à dix heures, un interminable défilé de bateaux commençait à déverser des vagues de touristes chinois. Bananes gonflables, parachutes ascensionnels, scooters des mers, séances de plongée dans des rochers peuplés de crabes et de saloperies en plastique, repas uniformisés au goût de l’Empire du Milieu, lait de coco au tarif parisien, crème à bronzer et perches pour autoportraits... nous avions là tous les symptômes d’un cancer généralisé. Par environ huit degrés de latitude et presque cent de longitude, je retrouvais le mal qui rongeait l’humanité : l’abondance de fric au royaume de la misère et des facilités, et des bougres convaincus de pouvoir s’offrir un soupçon de bonheur à moindre coût. Où se trouvaient donc la paix et la solitude si chères à Miller ? Mon désespoir était total, les yeux bridés à la place des visages pâles n’y changeaient rien.
***
Le lendemain, après avoir parcouru dix-huit miles nautiques, nous accostions dans un petit port de pêcheurs. Combien d’entre eux vivaient encore des ressources de la mer ? A en juger par la couleur de l’eau, plus grand chose de vivant ne devait subsister sous les pilotis, hormis plusieurs tonnes de matière fécale. Certes, le commerce de babioles est bon pour les affaires, mais que faire des étrons de trois mille consommateurs quotidiens quand on est cerné d’eaux ?
Une gamine nous aborda. Salutations d’usage dans la langue locale. « Je suis musulmane », s’empressa-t-elle d’ajouter dans un anglais hésitant. Voilà qui me faisait une belle jambe. Allah avait-il envisagé une solution viable dans l’au-delà, concernant la gestion des déchets ?
***
Les jours s’écoulaient paisiblement, et sous mes yeux, l’horizon s’étalait, imposant et sûr de lui. Seul face à la mer, le flot de mes pensées s’apaisait, ma rage se dissipait un peu. Dans les nuages, je croyais même déceler le visage d’une infirmière, dans les bras de laquelle je me promettais d’ajourner ma grande croisade contre l’injustice faite par Homo Faber à Gaïa. Nous conduisant à la gare, un jeune couillon nous avait doublé sur la roue arrière et le casque au bras. Elle avait salué la performance d’un immense sourire, l’accompagnant d’un nonchalant : « Bravo ! On manque de candidats au don d’organes... » Son humour noir, ses courbes et ses livres, voilà le genre de remède qu’il me fallait.
***
Golfe du Bengale – d’une muse j’ai rêvé sous les hévéas.
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| | | Auzelles
Messages : 4794 Date de naissance : 16/10/1949 Date d'inscription : 25/10/2017 Localisation : Entre Crau et Camargue
| Sujet: Re: L'historiette du jour... Jeu 25 Jan - 7:23 | |
| L'historiette du jour : La Forêt des Roses de ManigautLes yeux fermés, le bruit de la pluie qui tombe sur les cimes des arbres, l'eau qui dégouline sur mon visage. Et je compte, et je compte. Les oiseaux ne chantent plus depuis que le déluge a débuté, ou bien c'est lui qui couvre leurs cris, je ne sais pas. Et je compte, et je compte. La symphonie du vent dans les conifères commence à bercer mes songes. Et je compte plus vite. Des gouttes viennent fouetter mon visage comme pour me réveiller, cela fait dix minutes que je suis penché sur un tronc les yeux fermés à compter. Il est temps de se retourner et d'aller la chercher. Le vent et la pluie s'abattent toujours dans cette forêt mais ils m'apparaissent moins oppressants que lorsque j'étais aveugle. Comme si me priver de la vue avait augmenté mes autres sens. Je pourrais me servir de cela pour la trouver. Car il faut que je la trouve, j'en ai besoin, et je sais qu'elle aussi. - Lire la suite de l'historiette:
Cette forêt est si grande.
Elle pourrait être n'importe où.
N'importe où sur Terre à présent. Mais je sens qu'elle est là.
Je ferme de nouveau les yeux en posant mes pieds délicatement l'un devant l'autre. Je tends les bras afin de recueillir les larmes du ciel sur moi. Il me manque quelque chose, ou plutôt il y a des choses en trop entre moi et cette forêt. Je retire mes chaussures et vogue pieds nus dans le parterre de brindilles et de fougères. Mes pieds s'écorchent et se mettent à saigner. Ce mal est nécessaire, je commence à ne faire qu'un avec cette forêt, je commence à sentir, à ressentir quelque chose. Son parfum à la rose se fait de plus en plus perceptible. Il caresse mes narines avant de parcourir tout mon corps. Je me laisse guider par lui, les yeux toujours clos. J'ai besoin de laisser cette pluie recouvrir et entourer mon corps pour le masquer. Je retire le reste de mes vêtements et marche dans cette nature humide et sombre dont je ne suis dorénavant rien de plus que le prolongement. Je marche et marche encore durant ce qu'il me paraît comme être des heures, des jours, des semaines entières, je marche à la recherche de la source de ce parfum. J'ai besoin de la trouver. Elle a besoin que je la trouve.
Elle est proche, si proche, je le sens. Elle est terrée derrière un buisson. Elle ne soupçonne pas ma présence. Après tout je n'existe plus. Il n'y a qu'elle et la forêt à présent, et elle ne peut pas la quitter, elle aurait trop peur de se perdre en chemin et de mourir dans ce dédale. Comme si je pouvais laisser faire cela. Comme s'il existait une réalité dans laquelle je ne pourrais pas la trouver. Il faut que je la surprenne, que je contourne la flore pour passer derrière elle. Elle tremble de froid. C'est à moi de la réchauffer. C'est à moi de la rassurer. De lui dire que je l'ai trouvée. Que je l'ai enfin trouvée. Je m'approche d'elle. Elle ne me voit pas. Ne me sent pas. Je suis complètement nu sous la pluie, ma peau inondée de gouttes d'eau. Dès lors que mes yeux s'ouvrent, je la vois, trempée de la tête aux pieds, sa longue chevelure châtain pesant sur ses épaules. Je dégage sa nuque avec ma main gauche – elle ne sursaute pas –, et j'appose mes lèvres sur l'intérieur de son cou. Elle frissonne, mais pas à cause du froid. Je lui enlève son gilet aussi lourd qu'une cotte de maille, et commence à lui caresser les bras tout en continuant de lui baiser le cou. Sa tête bascule légèrement en arrière comme pour s'abreuver du chagrin céleste, alors que ses yeux se révulsent à l'instant où je place ma main droite sur le bas de son ventre. Je lui retire son haut, constatant avec joie qu'elle ne dispose pas de soutien gorge, et commence à avoir le sexe qui se durcit à la vue des gouttes de pluie qui viennent se fracasser contre sa poitrine arrogante. Tout en me nourrissant de ses mamelles gorgées de vie, je lui ôte son pantalon afin que nous nous retrouvions tous les deux nus, tous les deux connectés à la Terre. Lorsque c'est chose faite, elle se retourne pour la première fois et colle ses lèvres contre les miennes, invitant nos langues à danser un ballet endiablé. Je ne puis faire autre chose que de m'agenouiller face à sa beauté et sa grâce. Nez à nez avec son pubis humide, la pluie courant à travers sa pilosité. Impossible de résister une seconde de plus à plonger ma bouche contre lui, et à enfoncer ma langue aux tréfonds du berceau de la vie. Cette manœuvre provoqua immédiatement sa chute au sol, mon audace ayant transformé ses jambes en coton. Cela me permit de m'allonger sur elle pour lui réchauffer le corps tout en perforant son regard alors que j'entrais vigoureusement en elle. Elle était complètement assujettie à mes désirs, allongée sur les feuilles, les bras en croix maintenus par mes mains, les jambes accrochées autour de mon bassin pour m'empêcher de fuir, et le reste de son corps qui vibrait au rythme du fouet de mes hanches sur son postérieur. À aucun moment nos regards ne se quittèrent, même lorsque je sentis son intérieur se contracter sur moi son regard ne quitta pas le mien, même lorsque je sortis du paradis pour la recouvrir de mon essence de vie, je ne pus me résoudre à délaisser ses yeux.
Nous restâmes collés l'un à l'autre pendant ce qui me parut être des heures, le temps que la pluie se calme et que la forêt s'ouvre de nouveau pour nous laisser repartir. Nous avions l'impression d'avoir crée la vie ici. Quand nous nous sommes relevés, un cerf et une biche se tenaient devant nous, parfaitement sereins, comme s'ils reconnaissaient la force naturelle derrière ce qu'il venait de se passer. Quelques heures plus tard, elle me ramena chez moi. Une fois la porte fermée, une fois qu'une rupture physique nous sépara, je ne pus faire qu'une seule chose, espérer qu'elle vienne me chercher à son tour. Alors j'ai fermé les yeux, et j'ai commencé à compter. Et je compte. Et je compte toujours.
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| | | Auzelles
Messages : 4794 Date de naissance : 16/10/1949 Date d'inscription : 25/10/2017 Localisation : Entre Crau et Camargue
| Sujet: Re: L'historiette du jour... Ven 26 Jan - 5:57 | |
| L'historiette du jour : Fragments d'été de Jack AlandaAilleurs, An Troisième de l’Etat d’urgence. L’année n’en finissait pas de moisir. Je nourrissais assez de pessimisme pour guetter l’aube chaque nuit, convaincu que le soleil lui-même finirait par démissionner. Pourtant, jamais il ne cessa de surgir au petit matin. Un toubib, au terme d’une consultation aussi courte que le temps nécessaire pour empocher ses vingt-cinq balles, avait rendu son verdict tel un procureur : insomnie. Un diagnostic assorti de deux semaines fermes de pilules. A la pharmacie, j’avais ramassé tout le poison prescrit, sans aucune intention de l’absorber. Simplement, ça ne pesait pas lourd et c’était toujours une bonne monnaie d’échange sur la route. - Lire la suite de l'historiette:
Je rentrais chez moi, consumé par un désir d’action à la frontière de la pathologie. La condition urbaine commençait à me taper sur les nerfs. Il me fallait au moins un océan entre mon enveloppe charnelle et cette année de merde. Je décidais d’honorer l’invitation d’un navigateur au long cours, dont le voilier mouillait quelque part dans le golfe du Bengale. C’est qu’on n’a jamais assez d’Orient dans sa vie...
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Ma fille avait la mine défaite de ceux qui viennent de parcourir quinze mille bornes en deux jours, un train, un métro, deux avions et un taxi. A peine rassasiés de boulettes de riz aux légumes, trop épuisés pour savoir qui nous étions et incapables de prendre la moindre décision, nous marchions dans toutes les directions, hagards, à la recherche de la mer. Au large, un bateau nous attendait. Un coup de fil. Un café épicé. Une heure plus tard, les coudes baignant dans d’immenses flaques de sueur et les yeux baignés de lumières, nous vîmes débarquer le capitaine. Sa minuscule annexe peinait à supporter le poids de notre barda, mais nous emportions avec nous une quantité de vivres suffisante pour nous affranchir de l’humanité un moment.
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J’avais passé vingt bonnes années à vouloir changer le monde, ce dernier s’y refusant obstinément. Sous les tropiques, à bord d’un voilier, je me moquais bien de connaître les derniers soubresauts d’une planète à la dérive. Dans la chaleur de l’été, mon indignation pouvait entrer en hibernation. Seule subsistait ma capacité d’engloutir des pages et des pages, dont ce bon vieux compagnon de vadrouille, Henry Miller : « Il n’y a pas plus grande, plus extraordinaire bénédiction que l’absence de journaux, l’absence de nouvelles sur ce que peuvent inventer les humains aux quatre coins du monde pour rendre la vie vivable ou invivable. Si seulement on pouvait éliminer la presse – quel grand pas en avant nous ferions, j’en suis sûr ! La presse engendre le mensonge, la haine, la cupidité, l’envie, la suspicion, la peur, la malice. Qu’avons-nous à faire de la vérité, telle que nous la servent les quotidiens ? Ce qu’il nous faut, c’est la paix, la solitude, le loisir. »
Sur le pont, ma fille entamait une danse de la pluie à la proue du navire. Aussitôt, avec la ponctualité d’un horloger suisse, la mousson nous rendait le salut avec force. Hilare, elle déclarait : « Tu sais quoi, Pa’ ? Ce qu’il faudrait, c’est le même paysage avec le climat de chez nous... » Qu’avais-je besoin de savoir si l’on se massacrait avec la même ferveur un peu partout sur Terre ?
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Dès l’aube, le capitaine avait repris la mer, et c’est au large d’un îlot paradisiaque que nous nous réveillâmes. Mais à dix heures, un interminable défilé de bateaux commençait à déverser des vagues de touristes chinois. Bananes gonflables, parachutes ascensionnels, scooters des mers, séances de plongée dans des rochers peuplés de crabes et de saloperies en plastique, repas uniformisés au goût de l’Empire du Milieu, lait de coco au tarif parisien, crème à bronzer et perches pour autoportraits... nous avions là tous les symptômes d’un cancer généralisé. Par environ huit degrés de latitude et presque cent de longitude, je retrouvais le mal qui rongeait l’humanité : l’abondance de fric au royaume de la misère et des facilités, et des bougres convaincus de pouvoir s’offrir un soupçon de bonheur à moindre coût. Où se trouvaient donc la paix et la solitude si chères à Miller ? Mon désespoir était total, les yeux bridés à la place des visages pâles n’y changeaient rien.
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Le lendemain, après avoir parcouru dix-huit miles nautiques, nous accostions dans un petit port de pêcheurs. Combien d’entre eux vivaient encore des ressources de la mer ? A en juger par la couleur de l’eau, plus grand chose de vivant ne devait subsister sous les pilotis, hormis plusieurs tonnes de matière fécale. Certes, le commerce de babioles est bon pour les affaires, mais que faire des étrons de trois mille consommateurs quotidiens quand on est cerné d’eaux ?
Une gamine nous aborda. Salutations d’usage dans la langue locale. « Je suis musulmane », s’empressa-t-elle d’ajouter dans un anglais hésitant. Voilà qui me faisait une belle jambe. Allah avait-il envisagé une solution viable dans l’au-delà, concernant la gestion des déchets ?
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Les jours s’écoulaient paisiblement, et sous mes yeux, l’horizon s’étalait, imposant et sûr de lui. Seul face à la mer, le flot de mes pensées s’apaisait, ma rage se dissipait un peu. Dans les nuages, je croyais même déceler le visage d’une infirmière, dans les bras de laquelle je me promettais d’ajourner ma grande croisade contre l’injustice faite par Homo Faber à Gaïa. Nous conduisant à la gare, un jeune couillon nous avait doublé sur la roue arrière et le casque au bras. Elle avait salué la performance d’un immense sourire, l’accompagnant d’un nonchalant : « Bravo ! On manque de candidats au don d’organes... » Son humour noir, ses courbes et ses livres, voilà le genre de remède qu’il me fallait.
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Golfe du Bengale – d’une muse j’ai rêvé sous les hévéas.
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| | | Auzelles
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| Sujet: Re: L'historiette du jour... Sam 27 Jan - 8:21 | |
| oups............. hier pas bien réveillée l'Oz'... j'ai passé une historiette que j'avais mise il y a deux jours |
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